Mais qui étaient ces enfants ?
Delphine de Vigan : « Des gens devenus de réelles stars pour une génération sont restés inconnus d’une autre partie de la population » Par Maroussia Dubreuil Le Monde 28 mai 2021
Selon la romancière, qui vient de publier « Les Enfants sont rois », pour devenir une célébrité, « il suffit d’être soi face à la caméra ».
Pauline, alias @paulluuux, compte plus de 372 000 abonnés sur TikTok. Dans sa chambre, en Indre-et-Loire, le mardi 25 mai 2021, elle tourne une vidéo pour la plateforme. CYRIL CHIGOT POUR « LE MONDE »
Avant de devenir des adolescents en vue sur les réseaux sociaux, certains ont été filmés, instagrammés ou youtubés par leurs parents. Dans son dernier roman, Les Enfants sont rois (éd. Gallimard, 352 p., 21,90 €), Delphine de Vigan suit le destin de Sammy et Kimmy, deux mini-influenceurs, exposés par Mélanie, une mère de famille en quête de popularité.
Mélanie a 17 ans quand « Le Loft » arrive sur nos écrans. Pour quelles raisons avez-vous construit son personnage à partir de sa fascination pour la télé-réalité ?
Avec Le Loft est née cette idée que n’importe qui pouvait avoir des fans, du jour au lendemain. Il me semble que cela provient d’un fantasme très adolescent que, peut-être, nous avons tous eu. La télé-réalité l’a rendu possible. On n’a plus besoin d’être un artiste pour devenir une célébrité qui provoque des attroupements dans la rue. Il suffit d’être soi face à la caméra. Un certain nombre des codes de la grammaire de YouTube et des réseaux sociaux vient très clairement de cette télé-réalité, comme la confession permanente face caméra ou l’adresse aux téléspectateurs. Pour Mélanie, être célèbre est un objectif en soi. En cela, elle embrasse son époque à pleins bras, sans remise en question. Comme le dit un autre personnage, peut-être qu’elle n’est que le pur produit de son époque.
Le passage dans lequel Mélanie apprend à Kimmy à se tenir devant la caméra relève du dressage, non ?
Lorsque j’ai regardé des vidéos d’enfants influenceurs, quelque chose m’a frappée… Ma sidération et ma stupeur sont venues de la répétition. Quand on comprend que ce n’est pas une mais des centaines de vidéos, et qu’on les voit les unes à la suite des autres, il y a quelque chose qui devient vraiment terrifiant. Ce sont des vidéos très codifiées qui ont tendance à se copier les unes les autres, dans lesquelles les enfants se livrent à l’unboxing – déballages de produits envoyés par des marques – ou à des challenges. Mon travail de romancière, c’était d’imaginer l’envers du décor, or je n’avais qu’une arme par rapport à cette réalité : la fiction. Je me suis donc demandé comment on pouvait apprendre à un enfant de 2 ans à regarder la caméra… Il y a sans doute une forme, si ce n’est de conditionnement, en tout cas d’apprentissage. De là est née cette scène.
Confrontée à un policier, Mélanie ne cesse de répéter que sa famille est célèbre. L’homme est à deux doigts de penser qu’elle est atteinte d’un trouble psychiatrique… Etre à la fois célèbre et inconnu, c’est possible ?
Avec l’arrivée de ces nouveaux médias, comme YouTube et TikTok, des gens sont devenus de réelles stars pour une génération, ou en tout cas pour un certain public qui pratique les réseaux sociaux, mais sont restés totalement inconnus d’une autre partie de la population. C’est assez symptomatique de notre époque, où les choses sont fragmentées. Il y a cette idée de communauté, par âge, par centre d’intérêts, comme autant d’îlots hermétiques… Dans le reportage que j’ai vu sur les enfants influenceurs, on voyait bien qu’ils suscitaient une espèce d’hystérie collective dans les centres commerciaux où ils venaient faire de la promotion. Moi, les bras m’en sont tombés. Mais qui étaient ces enfants ?
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