le pouvoir subversif de l’animation
Françoise Pétrovitch, automne 2021, Fonds Hélène et Edouard Leclerc, Landerneau
Les films d’animation s’invitent dans les galeries et musées Par Roxana Azimi Le Monde 19/09/2021
Comme Françoise Pétrovitch au Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau et Christine Rebet au Musée d’art contemporain de Lyon, les plasticiens sont de plus en plus nombreux à s’emparer des possibilités offertes par ce média pour raconter le monde qui les entoure.
C’est l’une des fiertés hexagonales, après le champagne et la French touch : la France est le troisième producteur de séries d’animation derrière les Etats-Unis et le Japon. Cet « art sans star, sans paillettes ni tapis rouge », comme le résume joliment Emmanuel-Alain Raynal, fondateur de la société de production Miyu, n’est plus réservé depuis longtemps au jeune public.
Il déborde aussi du strict cadre du cinéma de divertissement, vers les arts plastiques. Des petits bijoux d’humour noir en pâte à modeler des Suédois Nathalie Djurberg et Hans Berg aux images de synthèse du Britannique Ed Atkins, en passant par la simplicité gracile de Massinissa Selmani, les plasticiens s’emparent volontiers de ce langage propice à la rêverie comme à la satire.
Pouvoir subversif
Pour Françoise Pétrovitch, qui expose cet automne son film Echo, gorgé de pleurs et de peurs, au Fonds Hélène et Edouard Leclerc, à Landerneau (Finistère), « l’animation est un refuge permettant d’échapper au réel ».
Sa consœur Christine Rebet y voit plutôt une manière de raconter le monde. Si l’ancienne scénographe a voulu « mettre l’encre en mouvement », c’est pour raconter des drames. Sous couvert de petits contes oniriques et légers de quelques minutes, ses films, actuellement projetés au Musée d’art contemporain de Lyon, explorent les sombres trouées de l’histoire, comme les angles morts de nos psychés.
Le Sud-Africain William Kentridge, dont les premiers films furent d’abord plébiscités au Festival international du film d’animation d’Annecy avant d’être adoubés par les musées, a compris depuis longtemps le pouvoir subversif de l’animation. Ainsi trouvait-il plus subtil de traduire par des effets d’apparition et d’effacement, plutôt que par la vidéo documentaire, la violence et l’ambiguïté de son pays, si prompt à l’amnésie.
Pour convoquer le souvenir de l’esclavage, l’Africaine-Américaine Kara Walker a aussi eu recours à l’animation, en s’appropriant non sans ironie les techniques primitives du théâtre d’ombres, une pratique longtemps considérée comme un « loisir de Blancs ».
« L’animation, c’est un cinéma de la contrainte, mais aussi des possibles en termes narratifs : on peut raconter tout… ou rien. » Emmanuel-Alain Raynal, fondateur de la société de production Miyu
Selon la curatrice et courtière Laurence Dreyfus, qui avait orchestré, en 2007, l’exposition « Momentary Momentum » sur la jonction entre l’art et l’animation au centre d’art Parasol Unit, à Londres, « le point de départ de l’engouement pour l’animation vient des jeux vidéo, qui ont généré des logiciels avec lesquels les artistes ont été d’emblée familiers ». Les plus jeunes le savent aussi, l’image mouvement accroche plus le regard – et les esprits – que l’image fixe.
Le boom des NFT (jetons non fongibles, en français) n’est pas non plus étranger à l’intérêt grandissant des plasticiens pour l’animation. Ces lignes de code qui renvoient à un certificat enregistré dans la blockchain affolent d’autant plus les collectionneurs lorsqu’ils renvoient à des scènes animées.
Emmanuel-Alain Raynal a aussi sa petite idée sur l’attrait pour cette forme artistique : « L’animation est à la croisée des expressions artistiques, c’est un art total, plastique, littéraire, cinématographique, c’est un cinéma de la contrainte, mais aussi des possibles en termes narratifs : on peut raconter tout… ou rien. »
Pour promouvoir les créations personnelles des auteurs les plus inventifs du monde de l’animation, Miyu ouvrira, fin 2021, une galerie rue du Temple, à un jet de pierre du Centre Pompidou. Un pont entre deux mondes qui n’en finissent pas de s’aimanter.
Christine Rebet, « Escapologie », jusqu’au
2 janvier, MAC Lyon.
Françoise Pétrovitch, automne 2021, Fonds Hélène et Edouard Leclerc.
Galerie Miyu, ouverture hiver 2021.
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