BTS2 : Corrigé (proposition) de l’Ecriture Personnelle du BTS blanc du second semestre 2020/21
Rappel du sujet : Vladimir Jankélévitch affirme qu’écouter de la musique permet à l’auditeur de « [se] transfigurer, [s’] arracher momentanément à la pesanteur ». Ces propos s’accordent-ils avec votre propre expérience de l’écoute musicale ? Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, sur vos lectures de l’année et sur vos connaissances personnelles.
Dans notre société où la musique s’est banalisée au point de devenir envahissante, son écoute relève souvent de l’acte machinal et instinctif : c’est à peine si nous remarquons, tandis que nous faisons nos courses au supermarché, qu’une chanson en a remplacé une autre ! Peut-on, dans le cas de cette écoute parcellaire et fragmentée, parler de « musique » au sens où l’entendait le célèbre philosophe et musicologue Vladimir Jankélévitch ? Selon lui, écouter de la musique, loin d’être une activité banale, permettrait au contraire de « transfigurer » l’auditeur, de « l’arracher momentanément à la pesanteur ». À titre personnel, je souscris à cette réflexion. Après avoir évoqué un ressenti personnel – la manière dont la musique me permet de sortir de moi-même –, je montrerai comment cet art peut régénérer la vie intérieure en cultivant l’imaginaire, puis en quoi il s’assimile à une expérience de l’élévation spirituelle.
En premier lieu, comme l’affirme Vladimir Jankélévitch, la musique exerce un remarquable pouvoir de suggestion : « La musique, à la différence du langage, n’est pas entravée par la communication du sens préexistant qui déjà leste les mots ; aussi peut-elle toucher directement le corps et le bouleverser, provoquer la danse et le chant, arracher magiquement l’homme à lui-même » (l. 1-5). Quelques notes d’une mélodie suffisent à nous consoler des peines de nos journées et à nous transporter hors du réel. Après une journée de travail, écouter de la musique, c’est mettre en repos l’intellect et le corps, larguer les amarres pour changer de décor. Lorsque j’écoute de la musique, c’est comme si je faisais mes bagages : « Le beau Danube bleu » de Johann Strauss m’invite à une croisière dans la ville de Vienne ; « Let It Be » des Beatles me fait voyager du côté de Liverpool ; tandis que la mélodie mélancolique d’un fado m’emporte dans les rues populaires du vieux Lisbonne. Ce voyage métaphorique nous arrache littéralement à la pesanteur de la vie, et comme le dit si bien Vladimir Jankélévitch, nous partons « quelque part dans l’inachevé », comme si notre corps devenait « tout élan et toute lévitation » (l. 12-13).
De fait, la musique est une affirmation positive de la vie, un peu comme un voyage immatériel et intemporel : elle nous « dépayse » et nous fait pénétrer dans un univers d’émotions et de sensations qu’a très bien évoqué Baudelaire dans le poème « Correspondances » : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » Par son pouvoir évocateur, la musique fusionne une infinité de perceptions. Ce voyage métaphorique donne à l’imagination toute sa valeur créatrice. L’écoute de la musique contribue ainsi à une sorte de géographie imaginaire évoquée avec beaucoup d’émotion par Éric-Emmanuel Schmitt dans son autofiction Ma vie avec Mozart : il affirme que le patrimoine musical ne se présente pas sous la forme d’une chronologie, mais d’une géographie, dans laquelle chaque grand compositeur est un continent à part entière. Tout comme un rêve éveillé, l’écoute de la musique permet d’entrer dans un monde imaginaire et idéal. Cette ivresse du voyage musical que j’évoquais précédemment n’est-elle pas aussi découverte, déchiffrement, révélation de l’homme à lui-même ?
Fonctionnant comme une introspection, la musique ouvre la porte à tout un monde intérieur qui se colore au fil de nos émotions. Par son pouvoir de mystère et de révélation, la musique rompt nos mécanismes de défense, nous nous abandonnons à notre moi profond : écouter de la musique, c’est aussi apprendre à s’écouter afin de mieux écouter son âme. Éric-Emmanuel Schmitt confesse ainsi, au début de Ma vie avec Mozart, que la musique l’a sauvé du suicide quand il avait 15 ans. C’est aussi d’une expérience quasi mystique qu’a rendu compte le violoniste Renaud Capuçon. Témoignant de sa carrière dans Mouvement perpétuel, l’auteur revient sur un concert auquel il a participé à Amsterdam et qui provoqua en lui une sensation d’élévation, un moment de grâce. Loin des tumultes de l’Histoire, la musique est un facteur de paix intérieure et de sérénité : en écouter peut donc s’apparenter à un pur accomplissement. C’est une façon de transgresser la réalité et de partir à la conquête de l’indicible.
Comme j’ai essayé de le montrer, le sens de la musique n’est pas réservé aux seuls musiciens. Il suffit de s’ouvrir aux émotions musicales, à ce « je-ne-sais-quoi », ce « presque rien » dont parle Vladimir Jankélévitch dans un autre de ses essais, La Musique et l’Ineffable.
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