jeudi 1 avril 2021

Réflexions d'auteurs sur la musique

 

 

 François Bégaudeau, écrivain :

Le rap m'intéresse. Moi qui suis très rock et notamment rock des années 60, voire 70, finalement la mélodie me branche de moins en moins. C'est justement la critique que les gens formés par la chanson française font au rap : ce n'est pas mélodique. Et c'est vrai. Le rap est du domaine de la scansion, c'est du parlé-chanté à la lisière de la musique. Et c'est ce qui me plaît de plus en plus dans le rock. Mick Jagger, auquel je me suis intéressé, n'est pas un grand mélodiste, à la différence de Paul McCartney ou de John Lennon. Les Beatles sont mélodistes, ils font de la pop. Les rockers ne le sont pas. James Brown, ça n'a jamais été mélodique, c'est quelque chose de l'ordre de la scansion et j'aime ça. J'aime cette énergie, c'est le corps qui parle. Alors que la mélodie le bride, le « désanimalise » en canalisant l'énergie vitale. De fait, ce qu'il y a du rap dans mon livre vient des élèves [Bégaudeau a été professeur], pas de moi. Ils ont une culture du « fight », de la lutte, une économie de la parole dont le but ultime n'est pas de dire la vérité mais d'avoir le dernier mot. Il se trouve que j'aime ça aussi, dans la vie j'ai le goût de la lutte oratoire.


 

Louis-Jean Calvet, linguiste et auteur de Chanson, la bande-son de notre histoire :

 Le devenir d'une chanson est toujours un grand mystère. Pourquoi celle-ci passe-t-elle à la postérité et celle-là à la trappe ? Pourquoi une chanson devient-elle subitement un "tube", comme "Le Métèque"? Pourquoi telle autre devient-elle le symbole d'une lutte politique alors qu'elle parle d'amour, comme "Le Temps des cerises" à l'époque de la Commune ? Et le profil d'une carrière ? Pourquoi un artiste que l'on pensait prometteur disparaît-il après un ou deux disques ? Pourquoi tel autre, que l'on pouvait trouver quelconque ou ringard, reste-t-il cinquante ans en haut de l'affiche ? En écrivant ces lignes, je m'interroge sur ce qui m'autorise à considérer quelqu'un comme ringard ou comme prometteur.

Georges Moustaki

Avec ma gueule de métèque
De Juif errant, de pâtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents
Avec mes yeux tout délavés
Qui me donnent l'air de rêver
(Moi qui ne rêve plus souvent)

 Je suis frappé par une sorte de relecture que nous avons de certaines chansons anciennes. « Les mots bleus » qui date du début des années 1970, était à l’époque pour moi un tube (un tube était pour Boris Vian, inventeur de l’expression, quelque chose de creux) sans beaucoup d’intérêt. En 1992, lorsque Bashung a enregistré « Les mots bleus » pour un disque collectif, il me l’a fait entendre d’une autre façon. En dehors de la chanson française, deux « découvertes » récentes pour moi, le jeune britannique George Ezra (en particulier un morceau, Budapest) et la malienne Rokia Traore. Elle a en particulier un titre trilingue (bambara, français, anglais), « Ne so » (« ma maison », ou « chez moi ») et reprend « Strange fruit », naguère chanté par Billie Holiday. Oserai-je dire sans passer pour un vieux con que j’écoute quand même (ou chante, en m’accompagnant à la guitare) Brassens, Ferré ou Moustaki ?

Christophe Prochasson, historien :

La chanson, peut-être plus que d’autres pratiques culturelles, remplit cette fonction à la charnière de l’individuel et du collectif. La chanson sert à fabriquer de l’identité. La chanson nous sert à trouver des mots justes pour nous définir, pour définir ce que nous éprouvons, ce que nous vivons (…).

Hervé Le Tellier, écrivain :

C’est vrai qu’il y a cette dimension collective dans la chanson. La chanson jalonne, scande l’histoire réelle. On peut associer chacune des périodes fortes de l’Histoire à une chanson. (…) Il y a un jalonnement de l’Histoire par les chansons. Ça donne à la vie humaine des scansions musicales.

 

 

Mais il est bien court le temps des cerises...

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