Le coronavirus, «un boomerang
qui nous revient dans la figure» 22 mars 2020 Par Jade
Lindgaard et Amélie
Poinssot -
Mediapart.fr
Une
chauve-souris en Inde (réserve de Kabini) © AFP
La pandémie de
Covid-19 est-elle liée à la déforestation et aux destructions
d’écosystèmes ? Des liens existent, même s’ils sont parfois indirects,
selon les chercheurs. L’extension des monocultures contribue à façonner un
monde propice à la diffusion de ce type de virus.
Quels liens peuvent bien exister entre un virus infiniment petit et
l’immense chaos du monde ? L’épidémie actuelle (plus de 11 200
personnes décédées et 270 000 cas recensés de par le monde, dimanche 22
mars au matin) est causée par un virus identifié en 2019, d’où l’appellation
« Covid-19 » pour désigner la pathologie qu’il cause (« d »
pour disease, la maladie). L’agent pathogène lui-même est composé d’un
long ARN, son code génétique, qui est entouré de protéines. Observé au
microscope électronique, il présente une forme de couronne, d’où le choix de
nommer cette famille « corona », les virus à couronne – il en
existe de nombreuses espèces. Il ne peut vivre que s’il s’accroche à une
cellule vivante, avant d’y pénétrer, par exemple dans la gorge, le nez ou les
poumons d’un être humain. Sans hôte vivant pour se reproduire, il se désactive.
À la différence des bactéries, dont certaines peuvent résister pendant des
milliers d’années dans le sol, ces virus ne sont pas très résistants, et
peuvent ne survivre que quelques heures, explique Jean-François Julien,
spécialiste des chauves-souris au Muséum d’histoire naturelle. Les
protubérances de la couronne du SARS-CoV-2 lui permettent de s’accrocher
spécifiquement aux cellules humaines, d’où la vulnérabilité de nos organismes
face à lui.
L’hypothèse la plus fréquemment avancée aujourd’hui est celle d’un virus
hébergé par une famille de chauves-souris, qui aurait été transmis aux humains via
les marchés d’animaux vivants à Wuhan, en Chine. Pour le chercheur en
microbiologie et spécialiste de la transmission des agents infectieux
Jean-François Guégan, la pandémie actuelle est « un boomerang qui
nous revient dans la figure ». Modification des habitats
naturels d’un côté, consommation de viande et de produits d’animaux
sauvages de l’autre, massification du transport mondial…, les origines de la
propagation du coronavirus sont liées à notre modèle économique et « n’ont
rien à voir avec des causes strictement sanitaires », dixit
le spécialiste.
L’émergence du coronavirus correspond de fait à une conjonction de
différents événements et tous les chercheurs ne sont pas unanimes sur ses
causes directes. Pour François Moutou, vétérinaire et épidémiologiste, il faut
être prudent : « Aucune histoire n’a qu’une seule
explication. » Pour ce chercheur, il est tout à fait banal de
rencontrer des virus que l’on ne connaît pas encore. Des parasites circulent
partout en permanence, y compris entre les animaux et les humains. Chaque
personne héberge dans son corps des bactéries et des virus, et certains depuis
le début de l’évolution, au point d’avoir été intégrés à notre ADN. D’après les
échantillonnages de coronavirus identifiés chez les chauves-souris, des
chercheurs ont découvert que le matériel génétique de certains d’entre eux
ressemblait fortement à celui qui touche les humains. C’est aussi le cas, mais
avec une moins grande proximité, de certains de ces pathogènes prélevés chez le
pangolin, un petit mammifère insectivore et couvert d’écailles qui pourrait
être l’animal intermédiaire entre le porteur initial du virus (la
chauve-souris) et l’espèce humaine – cette hypothèse n’étant pas confirmée
toutefois au stade actuel des savoirs.
En 2002-2003, lors de l’épidémie de Sras (syndrome respiratoire aigu
sévère, pneumonie due à un virus de la famille des coronavirus), les marchés
d’animaux vivants en Chine ont été des foyers identifiés de
contagion. C’est peut-être ce qui s’est passé également en 2019 pour le
SARS-CoV-2. Pourquoi ? Des poulets, des chiens, des pangolins, et autres
espèces s’y retrouvent entassés dans des caisses empilées les unes sur les
autres. Les animaux sauvages viennent alors d’être traqués, piégés, capturés et
se trouvent en état de stress absolu, décrit François Moutou, qui a travaillé
sur cette première épidémie de Sras. Dans ces conditions d’enfermement
apocalyptiques, les défenses immunitaires s’amoindrissent et les agents
pathogènes ont tendance à se multiplier au-delà de leur nombre habituel. C’est
dans les cuisines des restaurants, qui conservent des bêtes vivantes afin de
réduire la durée entre leur mort et leur cuisson pour les clients, que le virus
du Sras serait passé aux humains en 2002, par l’intermédiaire de cuisiniers. Dans
le cas de ce premier Sras, explique Serge Morand, chercheur au CNRS et au Cirad
(Centre de recherche agronomique pour le développement, à Montpellier), et
actuellement basé en Thaïlande, c’est la civette – petit mammifère anciennement
appelé chat musqué – qui fut l’espèce transmetteuse, à partir d’un virus, là
aussi, hébergé par une chauve-souris. Le chercheur relève que tous ces animaux
sont en outre victimes d’un trafic, la « viande de brousse ». « Certes,
il existe en Asie des pratiques traditionnelles, culinaires et médicinales, qui
peuvent expliquer la consommation de ces animaux. Mais on observe aussi une
demande en expansion de la part d’une clientèle moyennement aisée vivant en
ville, et des stratégies commerciales. La chauve-souris se mange en Chine, au
Laos, en Thaïlande. Les écailles de pangolin sont utilisées dans la médecine
chinoise… Il y a, enfin, une multiplication des animaux de compagnie chez les
gens. Tout cela a pu concourir à l’émergence du virus, même s’il est difficile
pour l’instant de départager les facteurs. »
Un phénomène qui remonte au néolithique
Parmi ces facteurs, il y a aussi le fait que les chauves-souris vivent
souvent près des villages, explique le spécialiste de ces mammifères
Jean-François Julien. Cette proximité est favorable à la transmission de virus,
tout comme leur très grande diversité. « Il existe 1 400 espèces
de chauves-souris. Ainsi, des milliers de types de virus différents se
maintiennent au sein de leurs populations », explique le chercheur. Outre
leur grande diversité, la plupart présentent deux autres caractéristiques
propices à la propagation virale : elles sont grégaires et ont de bonnes
facultés de dispersion. Elles se déplacent donc souvent, et peuvent fonder des
colonies très populeuses réunissant plusieurs espèces. Quand elles mettent bas,
en particulier, les virus sautent facilement d’une espèce à l’autre. » Une
recherche aux Baléares a mis en évidence des liens entre ces comportements et
la diffusion d’un virus de la rage. Mais la science ne connaît qu’une infime
partie de tous les virus abrités par les chauves-souris. « Cela reste
obscur. On ne travaille sur les bêtacoronavirus de la famille de SARS-CoV-2 [les
formes qui touchent les humains aujourd’hui – ndlr] que depuis 2003. »
Bien que les chauves-souris européennes gîtent souvent au sein ou à proximité
des habitations, explique Jean-François Julien, leurs effectifs et leur
diversité plus faibles rendent infiniment moins probable l’émergence de
zoonoses comparables à celles qui sont apparues dans des régions plus chaudes
d’Afrique et d’Asie. « Le problème n’est pas la chauve-souris, le
problème est en amont : c’est la destruction des habitats naturels et le
non-respect de leur biodiversité », précise de son côté Jean-François
Guégan. Et cette cause profonde, on la retrouve d’une épidémie à
l’autre : la croissance démographique de la population humaine
a entraîné des modifications irréversibles sur les écosystèmes. « La
recherche de nouvelles terres agricoles a provoqué ces dernières
décennies une déforestation massive qui a bousculé les équilibres naturels,
explique ce chercheur en poste à INRAE (Institut national de la recherche
pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), à
Montpellier. Les humains se sont retrouvés exposés à des
micro-organismes portés par des animaux qu’ils ne rencontraient pas auparavant,
ou se sont mis à en consommer d’autres ou à utiliser certaines parties de leur
corps comme avec les pangolins. Or c’est lors du passage d’un animal à des
humains que ces micro-organismes deviennent pathogènes pour l’homme – plus par
circonstances que par nécessité, ainsi que l’exprimait le professeur Charles Nicolle.
Ce phénomène remonte au néolithique : chaque fois que l’homme a modifié
les sols, a commencé à défricher les écosystèmes pour le développement de son
agriculture, il s’est retrouvé exposé à de nouveaux micro-organismes qu’il
n’avait jamais rencontrés auparavant. »
Un pangolin
confisqué par les douanes thaïlandaises, en 2017. © Reuters
Cette fois-ci, la pandémie agit comme un révélateur des impasses que
nous nous construisons nous-mêmes : « La Terre ne peut plus
supporter une telle croissance démographique, une telle expansion économique au
détriment des écosystèmes naturels… Le risque est de voir poindre à l’horizon
de nouvelles épidémies plus dangereuses que celle que nous subissons
malheureusement aujourd’hui. »
L’explosion démographique humaine depuis le XIXe siècle, d’un
milliard d’individus en 1800 à 7,5 milliards aujourd’hui, crée de fait des
impacts sans précédent : « Toutes ces personnes ont besoin
d’espaces pour construire leurs habitations, de moyens de communication et de
circulation, de terres à cultiver pour se nourrir », résume François
Moutou. L’histoire de l’humanité est
marquée par des conséquences sanitaires liées à nos relations avec les autres
espèces, animaux sauvages mais aussi d’élevage, poursuit l’épidémiologiste.
C’est ce qu’on appelle les zoonoses : des maladies dont les agents
pathogènes circulent des animaux vers les hommes, et inversement. Un virus de
bovins a donné la rougeole à des humains et la tuberculose humaine (une
bactérie) a donné la tuberculose bovine, par exemple. Ces circulations peuvent
être bénéfiques aux humains : des médecins ont ainsi un jour découvert que
la vaccine, un virus de la vache, rendait les humains résistants à la variole.
Cela les a mis sur la voie de la fabrication des premiers vaccins. « Pendant
longtemps, on a imaginé que les mondes du vivant étaient organisés en espèces
différentes et stables, ajoute le chercheur. Mais la vie est un
réseau évolutif. Plus on travaille sur la vie, plus la notion d’espèces se
discute. Dans mon corps il y a des bactéries intégrées au début de la vie, dans
mes cellules, qui sont devenues des symbiotes (les mitochondries). Sans elles,
je ne peux pas vivre. Chaque individu est l’écosystème de plusieurs
espèces. » Si les populations
humaines continuent à interagir de plus en plus avec les écosystèmes naturels,
des épidémies comme celle du coronavirus vont toutefois se répéter. « Ces
virus ne sont pas des agents pathogènes en soi, insiste Jean-François
Guégan. Les parasites sont d’ailleurs nécessaires aux équilibres des
écosystèmes – de la même façon que tout être humain héberge une quantité
extraordinaire de bactéries et de virus. En empiétant sur les écosystèmes
naturels, on réveille actuellement et massivement des cycles de vie naturels de
microbes existant depuis la nuit des temps. Ces derniers se révèlent être des
tueurs lorsqu’en tant qu’espèce humaine nous les rencontrons. »
Métropandémies
De fait, l’habitat naturel de la chauve-souris, comme du pangolin, est la
forêt. La déforestation a poussé ces animaux hors de leur environnement
naturel, les a rapprochés des habitations humaines. Dans le cas du virus Nipah,
qui s’est propagé une première fois en 1998 en Malaisie, un lien a ainsi été
établi entre les chauves-souris géantes qui hébergeaient le virus et la vaste
déforestation entraînée par la production d’huile de palme. Le virus, sorti de
son milieu naturel, s’est propagé à partir des défections urinaires des
chauves-souris dans les fermes, où les cochons ont ensuite été contaminés. En
Côte d’Ivoire, le virus Ebola a notamment proliféré dans une zone d’intense
déforestation, qui a pu entraîner des déplacements d’animaux, et notamment de
chauves-souris, hôte de ce virus particulièrement dangereux pour les humains,
explique Jean-François Julien. D’après l’écologiste de la santé Serge
Morand, la conjugaison de deux phénomènes – à la fois le rapprochement de
l’homme d’une faune sauvage en recul et l’augmentation des animaux d’élevage –
favorise la circulation de nouveaux pathogènes. « La libéralisation
complète de nos économies, la mondialisation permet à tout cela de se
développer. À la place d’un habitat agricole diversifié, fait de villages, de
forêts communautaires, de diverses plantations, se développent les grandes
plantations à base de cultures uniformes : le soja au Brésil, l’huile de
palme, l’hévéa (caoutchouc), ou encore le teck en Asie… Des cultures destinées
au commerce international, et qui sont complètement sorties de leur aire
écologique. »
Vente de
chauves-souris sur un marché en Indonésie (2014). © Michel Gunther / Biosphoto
« Les épidémies de grippe aviaire proviennent à chaque fois d’Asie du
Sud-Est, note Jean-François Guégan. Or c’est là que l’on observe l’une des
plus fortes croissances urbaines de la planète, et où l’on voit apparaître de
nombreuses zones d’agriculture et d’élevage périurbains (poulet, canard,
porc…), dans des milieux tropicaux qui sont aussi d’une grande richesse
biologique. En faisant se rencontrer l’un et l’autre, on favorise des réactions
en chaîne dans ces nouveaux écosystèmes créés par l’humain. C’est donc tout un
modèle d’organisation et de développement qui est aujourd’hui en cause et que
vient nous rappeler le Covid-19. » C’est ce que disent aussi des
travaux en cours en « urban studies », les études
urbaines. « Le coronavirus qui nous touche aujourd’hui est un
exemple des relations étroites entre le développement urbain et l’émergence –
ou la réémergence – de maladies infectieuses, écrivent Roger
Keil, Creighton Connolly et S. Harris Ali dans The
Conversation. « Les infrastructures jouent un rôle
central : les maladies peuvent rapidement se répandre entre les villes
grâce aux infrastructures de la mondialisation, comme les réseaux de voyage
aérien. Les aéroports se trouvent souvent en bordure des villes, soulevant des
enjeux complexes de gouvernance et de juridictions concernant la responsabilité
de contrôler les épidémies dans les vastes régions urbaines. »
Dans un article sur
les « métropandémies » paru en 2016 dans les Cahiers
de la métropole bordelaise (signalé par le politiste Renaud Epstein,
qui a créé une page de conseils de lecture pour le confinement), Gilles Pinson,
professeur de sciences politiques et spécialiste de politiques urbaines, écrit
: « Survenue en 2003, l’épidémie de Sras est vite devenue un cas
d’école de ces “métropandémies” touchant quasi simultanément des foyers très
éloignés géographiquement mais intensément connectés par le trafic aérien.
Apparu d’abord au 9e étage de l’Hôtel Métropole (sic) de
Hong Kong en février, le virus se propage rapidement à Singapour, à Hanoï,
en Chine continentale, mais aussi au Canada, notamment à Toronto qui abrite
l’aéroport le plus important du pays et une très importante communauté
asiatique. Si le bilan n’a rien à voir avec les grandes pandémies du début du
XXe siècle – le Sras a tué 646 personnes selon l’OMS alors que
la “grippe espagnole” de 1918 aurait causé la mort de 100 millions de personnes
–, elle met au jour l’impact sanitaire du haut degré de connexité entre les
fières métropoles du monde globalisé. » Autre exemple édifiant cité
par le chercheur, au sujet cette fois-ci du virus Zika au Brésil : « Un
lien a été établi entre l’urbanisation sauvage au Brésil et la propagation de
Zika, mais aussi de la dengue, du chikungunya ou encore de la fièvre jaune. En
effet, l’aedes aegypti, le moustique à l’origine de la propagation de
ces maladies, était jusque récemment un animal adepte d’un habitat forestier.
Dans les dernières décennies, la déforestation et le développement d’un habitat
précaire autour des grandes métropoles du Sud l’ont fait déménager. L’accès des
néo-urbains à un minimum de consommation combiné à l’absence de services de
traitement des déchets et d’assainissement ont offert aux moustiques un
habitat, fait de sacs plastique, de bouteilles vides et de pneus abandonnés,
idéal pour leur prolifération. » Au-delà de la question spécifique des
coronavirus, l’extension massive des monocultures agricoles (céréales,
oléagineux, café, cacao…) contribue à façonner un monde propice à la diffusion
des agents pathogènes. « Dans une prairie où poussent une centaine
d’espèces végétales, un virus peut se perdre, décrit François
Moutou. Mais face à un champ de 10 hectares de maïs, s’il peut
s’associer aux cellules de la plante, il se répand sans limite. » De
façon comparable, la sélection de poulets et de porcs dans les élevages
industriels en fonction de critères commerciaux – afin que les animaux
grandissent vite et que leur taille augmente – standardise les individus. Du
fait de leur similarité génétique, eux aussi deviennent plus vulnérables aux
virus, comme ceux de la grippe aviaire ou de la peste porcine.
Dé-mondialisation
Cette homogénéisation des mondes est au cœur de multiples travaux
aujourd’hui. Si dans le monde de la recherche, de nombreuses personnes parlent
d’« anthropocène » pour décrire notre ère, celle du
bouleversement du système Terre par les civilisations humaines, d’autres lui
préfèrent le mot « plantationocène ». Pour la philosophe
Donna Haraway et l’anthropologue Anna Tsing, cette expression désigne
précisément l’homogénéisation des mondes à travers les cultures industrielles
et la mondialisation de l’économie. Pour
ces deux chercheuses, la plantation est à la fois une métaphore et une matrice
de notre organisation contemporaine de production de la valeur. Tsing a ainsi
mis en évidence que les plantations esclavagistes de canne à sucre aux XVIe et
XVIIe siècles étaient non seulement des lieux de souffrance
humaine incommensurable, mais aussi des nids de propagation néfaste de
champignons destructeurs bien au-delà du territoire des champs de canne, du
fait de leur homogénéité agricole et de la diffusion de leur production. C’est
ce modèle qui s’est répandu et s’est accentué avec l’essor de l’agriculture
industrielle, de l’urbanisation sans limite, et de l’accélération des flux
d’humains et de marchandises tout autour du globe.
La
multiplication des maladies infectieuses au niveau mondial, depuis 1940. ©
Gideon
Aujourd’hui,
l’aviation transporte plus de trois milliards de passagers par an. Ces
voyageurs qui circulent de plus en plus loin, de plus en plus vite, hébergent
chacune et chacun dans leur corps des virus. « Toute l’histoire de nos
maladies infectieuses est une histoire de circulation des personnes, de
mondialisation », rappelle Serge Morand. Les rythmes de propagation se
sont simplement accélérés au fur et à mesure que la vitesse des moyens de
transport a augmenté. Depuis une
quarantaine d’années, le nombre d’épidémies et la diversité des maladies ont
ainsi très fortement augmenté. Au point de créer des situations
improbables : en 2010, après le tremblement de terre en Haïti, c’est par
avion que le choléra arrive subitement sur l’île… par l’intermédiaire de
militaires pakistanais venus dans le cadre de l’aide humanitaire. « Au
XIXe siècle, la mondialisation des épidémies de choléra est
complètement liée à la vitesse des bateaux, explique Serge Morand. Au
fur et à mesure que le progrès avance, la bactérie Vibrio arrive de plus en plus
vite des Indes au continent européen. »
Jean-François Guégan compare l’épidémie actuelle avec la mal
nommée grippe espagnole, qui s’est propagée en 1918 à partir des soldats
cantonnés dans le nord de la France. 1918, c’est l’armistice, et les soldats rentrent
chez eux – c’est-à-dire aux États-Unis, au Canada, dans les Antilles, en
Afrique du Sud, en Afrique occidentale et centrale, en Inde… et ainsi ils
diffusent ce virus mortel sur la planète entière. « À l’époque, les
déplacements se faisaient par bateau et beaucoup moins par avion. Mais c’est
déjà l’homme, par ces déplacements, qui propageait le virus. » Pour
toutes ces raisons, il semble logique de penser que nous allons connaître de
plus en plus de tels épisodes épidémiologiques. Serge Morand, qui a publié en
2016 chez Fayard un livre au titre prémonitoire – La Prochaine Peste. Une
histoire globale des maladies infectieuses – en est convaincu. « Nos
écosystèmes ont perdu de la résilience et de leur capacité à s’autoréguler. Le
coronavirus n’est pas le dernier soubresaut “pathogénique” de notre planète.
Tant que la biodiversité continuera de s’éteindre, ce genre d’épidémie se
reproduira. Il faut se saisir de cette crise pour s’attaquer aux causes, et non
pas traiter les conséquences. » Lui, prône une « dé-mondialisation,
une relocalisation de nos agricultures ». Des orientations pour
lesquelles l’Union européenne dispose déjà d’instruments. Le Green Deal de
la Commission von der Leyen, les plus de 50 milliards d’euros annuels de la Politique
agricole commune (PAC)…, tout est là. Plutôt que de continuer à
subventionner les agriculteurs à l’hectare, la PAC, actuellement en
négociation, pourrait coller aux ambitions environnementales affichées, et
aider au retour à une agriculture locale, respectueuse des écosystèmes. Ce
pourrait être une manière de redonner du sens au projet européen.
Les chercheurs cités dans cet article ont été joints par téléphone les 16
et 17 mars 2020. Ils ont eu accès à la retranscription écrite de leurs propos,
et ont pu la modifier à la marge avant publication.
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