La solitude nuit gravement à la santé Publié dans le magazine Books
n° 36, octobre 2012. Par Greg Miller.
Les scientifiques
s’intéressent à tout – même aux effets biologiques du sentiment de solitude.
Car, à l’état chronique, ce désarroi réduit bel et bien l’espérance de vie.
Curieusement, il est en partie d’origine génétique. Et contagieux.
Nous faisons tous
l’expérience de la solitude. Elle survient souvent lors des grands tournants de
la vie : quand un étudiant quitte le domicile familial, quand un homme
d’affaires célibataire prend un poste dans une nouvelle ville, quand une femme
âgée survit à son mari et à ses amis. C’est une donnée de base de l’existence. Mais
quand le sentiment de solitude devient une condition chronique, l’impact peut
être autrement sérieux, explique John Cacioppo, de l’université de Chicago. Ce
psychologue social étudie les effets biologiques de la solitude. Dans un
torrent d’articles scientifiques parus récemment, il identifie avec son équipe
divers changements potentiellement néfastes dans les systèmes cardiovasculaire,
immunitaire et nerveux de personnes vivant dans une solitude chronique. Ces
résultats pourraient contribuer à expliquer pourquoi les études
épidémiologiques sont souvent parvenues à la conclusion que l’espérance de vie
des personnes socialement isolées était plus courte que la moyenne et qu’elles
risquaient davantage de connaître des problèmes de santé, allant des infections
à la maladie cardiaque en passant par la dépression. Leur travail apporte aussi
une nouvelle idée : c’est le sentiment subjectif de solitude qui est
délétère, pas le nombre objectif de contacts sociaux. « La solitude n’est
pas du tout ce qu’on croyait et c’est un phénomène beaucoup plus important
qu’on l’imaginait », affirme Cacioppo. Ses collègues le créditent d’avoir
construit un impressionnant réseau de collaborations avec des chercheurs
d’autres disciplines pour créer une véritable science de la solitude. « Il
a mis cette réalité sur la carte scientifique », déclare Dorrett Boomsma,
généticienne du comportement à l’université Vrije à Amsterdam. « Il
accomplit un travail très créatif, renchérit Martha Farah, chercheuse en
neurosciences cognitives à l’université de Pennsylvanie. Il a fondé une
nouvelle manière de penser la biologie des relations interpersonnelles. » Cacioppo
n’a pas toujours travaillé sur ce sujet. Dans les années 1980 et 1990, il
s’était fait un nom en menant de méticuleuses recherches en laboratoire sur
différents aspects du fonctionnement des émotions et de la cognition. C’est
l’un des fondateurs du champ des neurosciences sociales, dont l’objet est de
comprendre le rôle du cerveau dans les comportements sociaux.
Un facteur-clé, le
ressenti
Cacioppo confie que
c’est en lisant un article paru dans Science en 1988 qu’il a décidé de changer
d’objet. Ce texte laissait entendre que l’isolement social accroît la
mortalité. Depuis lors, quantité de travaux ont montré que la santé des
personnes peu entourées est en effet plus fragile. Une analyse de
148 études de ce genre, publiée en 2010, semble montrer que l’isolement
augmente le risque de décès à peu près autant que le tabac et plus que
l’inactivité physique ou l’obésité. Aussi convaincants soient-ils, selon
Cacioppo, ces travaux épidémiologiques laissent sans réponse de nombreuses
questions sur les mécanismes impliqués et sur les aspects de l’isolement social
en jeu. Il s’est attelé à la tâche au début des années 1990, en demandant à des
milliers d’étudiants de l’université Columbus dans l’Ohio – où il était alors
en poste – de remplir des questionnaires. Après quoi il leur a fait subir des
tests physiologiques et psychologiques en laboratoire. Au cours des dix
dernières années, il a observé des centaines d’habitants de la région de
Chicago, en étroite collaboration avec la psychologue Louise Hawkley et
d’autres chercheurs de l’université de Chicago. Ce travail l’a persuadé que la
solitude est un risque sanitaire en soi, distinct de la dépression ou du stress
qui lui sont souvent associés. Plus précisément, c’est apparemment la
manière dont est ressentie la solitude qui joue le rôle décisif, plutôt que le
degré objectif de connectivité sociale (le nombre de relations proches que la
personne entretient, par exemple). C’est une distinction importante que la
plupart des études précédentes avaient ignorée, souligne Daniel Russell,
psychologue à l’université de l’Iowa à Ames : « Il existe des
personnes isolées qui ne se sentent pas seules. À l’inverse, d’autres individus
se sentent seuls alors même qu’ils entretiennent de nombreux contacts
sociaux. »
Quand il était
étudiant en troisième cycle à l’université de Los Angeles (UCLA), Russell a
contribué à concevoir l’échelle désormais utilisée par Cacioppo. L’échelle UCLA
de la solitude est fondée sur un questionnaire qui tente de saisir la façon
dont on perçoit son rapport aux autres, avec des questions sur la fréquence à
laquelle on ressent un manque de relations proches, dont on a l’impression de
n’avoir personne à qui parler ou d’être en porte-à-faux en société. Les
personnes qui se situent en haut de cette échelle sont aussi celles qui ont
tendance à présenter des changements physiologiques qui placent le corps en
état d’alerte. Dans l’une de leurs premières études, Cacioppo et son équipe ont
découvert que les solitaires ont une résistance vasculaire plus élevée, un
durcissement artériel qui élève la tension. Cela oblige le cœur à travailler
plus dur et peut contribuer à l’usure prématurée des vaisseaux. « Il
s’agissait de recherches pionnières », qui ont conduit d’autres
scientifiques à s’intéresser aux effets biologiques potentiels de la solitude,
confie Chris Segrin, spécialiste du comportement à l’université de Tucson,
Arizona. Ces mêmes personnes présentent aussi des marqueurs moléculaires de
stress élevés. Cacioppo a trouvé un taux élevé de cortisol dans la salive et
d’adrénaline dans l’urine. Comme si la solitude préparait le corps à un danger
à venir. Pour le psychologue, cela a un sens du point de vue de l’évolution.
Pour nos lointains ancêtres, explique-t-il, être seul signifiait renoncer à la
protection du groupe et compromettre sa contribution génétique à la génération
suivante. À ses yeux, les changements physiologiques et l’anxiété qui
accompagnent la solitude signalent que les liens sociaux de l’individu sont
devenus trop faibles. « C’est un avertissement qui nous incite à
modifier notre comportement pour favoriser notre survie génétique »,
dit-il. De son point de vue, le sentiment de solitude est donc une épée à
double tranchant – salutaire à court terme, mais dangereuse quand il devient
chronique.
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