dimanche 22 mars 2020

BTS2 La solitude, une simple affaire de ressenti ?




La solitude nuit gravement à la santé Publié dans le magazine Books n° 36, octobre 2012. Par Greg Miller.

Les scientifiques s’intéressent à tout – même aux effets biologiques du sentiment de solitude. Car, à l’état chronique, ce désarroi réduit bel et bien l’espérance de vie. Curieusement, il est en partie d’origine génétique. Et contagieux.

Nous faisons tous l’expérience de la solitude. Elle survient souvent lors des grands tournants de la vie : quand un étudiant quitte le domicile familial, quand un homme d’affaires célibataire prend un poste dans une nouvelle ville, quand une femme âgée survit à son mari et à ses amis. C’est une donnée de base de l’existence. Mais quand le sentiment de solitude devient une condition chronique, l’impact peut être autrement sérieux, explique John Cacioppo, de l’université de Chicago. Ce psychologue social étudie les effets biologiques de la solitude. Dans un torrent d’articles scientifiques parus récemment, il identifie avec son équipe divers changements potentiellement néfastes dans les systèmes cardiovasculaire, immunitaire et nerveux de personnes vivant dans une solitude chronique. Ces résultats pourraient contribuer à expliquer pourquoi les études épidémiologiques sont souvent parvenues à la conclusion que l’espérance de vie des personnes socialement isolées était plus courte que la moyenne et qu’elles risquaient davantage de connaître des problèmes de santé, allant des infections à la maladie cardiaque en passant par la dépression. Leur travail apporte aussi une nouvelle idée : c’est le sentiment subjectif de solitude qui est délétère, pas le nombre objectif de contacts sociaux. « La solitude n’est pas du tout ce qu’on croyait et c’est un phénomène beaucoup plus important qu’on l’imaginait », affirme Cacioppo. Ses collègues le créditent d’avoir construit un impressionnant réseau de collaborations avec des chercheurs d’autres disciplines pour créer une véritable science de la solitude. « Il a mis cette réalité sur la carte scientifique », déclare Dorrett Boomsma, généticienne du comportement à l’université Vrije à Amsterdam. « Il accomplit un travail très créatif, renchérit Martha Farah, chercheuse en neurosciences cognitives à l’université de Pennsylvanie. Il a fondé une nouvelle manière de penser la biologie des relations interpersonnelles. » Cacioppo n’a pas toujours travaillé sur ce sujet. Dans les années 1980 et 1990, il s’était fait un nom en menant de méticuleuses recherches en laboratoire sur différents aspects du fonctionnement des émotions et de la cognition. C’est l’un des fondateurs du champ des neurosciences sociales, dont l’objet est de comprendre le rôle du cerveau dans les comportements sociaux.

Un facteur-clé, le ressenti

Cacioppo confie que c’est en lisant un article paru dans Science en 1988 qu’il a décidé de changer d’objet. Ce texte laissait entendre que l’isolement social accroît la mortalité. Depuis lors, quantité de travaux ont montré que la santé des personnes peu entourées est en effet plus fragile. Une analyse de 148 études de ce genre, publiée en 2010, semble montrer que l’isolement augmente le risque de décès à peu près autant que le tabac et plus que l’inactivité physique ou l’obésité. Aussi convaincants soient-ils, selon Cacioppo, ces travaux épidémiologiques laissent sans réponse de nombreuses questions sur les mécanismes impliqués et sur les aspects de l’isolement social en jeu. Il s’est attelé à la tâche au début des années 1990, en demandant à des milliers d’étudiants de l’université Columbus dans l’Ohio – où il était alors en poste – de remplir des questionnaires. Après quoi il leur a fait subir des tests physiologiques et psychologiques en laboratoire. Au cours des dix dernières années, il a observé des centaines d’habitants de la région de Chicago, en étroite collaboration avec la psychologue Louise Hawkley et d’autres chercheurs de l’université de Chicago. Ce travail l’a persuadé que la solitude est un risque sanitaire en soi, distinct de la dépression ou du stress qui lui sont souvent associés. Plus précisément, c’est apparemment la manière dont est ressentie la solitude qui joue le rôle décisif, plutôt que le degré objectif de connectivité sociale (le nombre de relations proches que la personne entretient, par exemple). C’est une distinction importante que la plupart des études précédentes avaient ignorée, souligne Daniel Russell, psychologue à l’université de l’Iowa à Ames : « Il existe des personnes isolées qui ne se sentent pas seules. À l’inverse, d’autres individus se sentent seuls alors même qu’ils entretiennent de nombreux contacts sociaux. »
Quand il était étudiant en troisième cycle à l’université de Los Angeles (UCLA), Russell a contribué à concevoir l’échelle désormais utilisée par Cacioppo. L’échelle UCLA de la solitude est fondée sur un questionnaire qui tente de saisir la façon dont on perçoit son rapport aux autres, avec des questions sur la fréquence à laquelle on ressent un manque de relations proches, dont on a l’impression de n’avoir personne à qui parler ou d’être en porte-à-faux en société. Les personnes qui se situent en haut de cette échelle sont aussi celles qui ont tendance à présenter des changements physiologiques qui placent le corps en état d’alerte. Dans l’une de leurs premières études, Cacioppo et son équipe ont découvert que les solitaires ont une résistance vasculaire plus élevée, un durcissement artériel qui élève la tension. Cela oblige le cœur à travailler plus dur et peut contribuer à l’usure prématurée des vaisseaux. « Il s’agissait de recherches pionnières », qui ont conduit d’autres scientifiques à s’intéresser aux effets biologiques potentiels de la solitude, confie Chris Segrin, spécialiste du comportement à l’université de Tucson, Arizona. Ces mêmes personnes présentent aussi des marqueurs moléculaires de stress élevés. Cacioppo a trouvé un taux élevé de cortisol dans la salive et d’adrénaline dans l’urine. Comme si la solitude préparait le corps à un danger à venir. Pour le psychologue, cela a un sens du point de vue de l’évolution. Pour nos lointains ancêtres, explique-t-il, être seul signifiait renoncer à la protection du groupe et compromettre sa contribution génétique à la génération suivante. À ses yeux, les changements physiologiques et l’anxiété qui accompagnent la solitude signalent que les liens sociaux de l’individu sont devenus trop faibles. « C’est un avertissement qui nous incite à modifier notre comportement pour favoriser notre survie génétique », dit-il. De son point de vue, le sentiment de solitude est donc une épée à double tranchant – salutaire à court terme, mais dangereuse quand il devient chronique.

Le sentiment de solitude de John Cacioppo, W.W. Norton, 2008

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