Le chant des oiseaux 19/03/2020 Par Hervé Gardette
Nous n'entendons rien.
https://www.franceculture.fr/environnement/le-chant-des-oiseaux
Avec le confinement, les grandes villes deviennent silencieuses.
Silencieuses ? Pas tout à fait. Tendez l’oreille…
Il faudra m’expliquer un jour comment font les Parisiens, eu égard au prix
de l’immobilier, pour avoir, en plus, une maison de campagne. L’exode massif de
ces derniers jours est aussi un indicateur de certaines inégalités sociales.
Mais je ne suis pas envieux, j’ai même de la chance : à Paris, je dispose
d’un balcon, qui donne sur la coulée verte, cette longue bande piétonne (et
cyclable) qui permet de relier le quartier de la Bastille au bois de Vincennes.
Le week-end et les après-midi, après l’école, c’est un peu bruyant, les enfants
qui s’y promènent s’expriment uniquement à base de hurlements. Les parents ont
l’air de trouver ça marrant. Moi ? Moins. Alors imaginez mon bonheur
depuis mardi et le début des mesures de confinement. Plus un bruit. Le silence.
Hier, comme il faisait beau, je m’y suis installé (sur mon balcon) pour lire un
moment. C’est alors que je les ai entendus, pas très forts au début, puis de
plus en plus distinctement. Les oiseaux : ils étaient revenus ! Du moins
ai-je à nouveau été en mesure de les entendre.
‘’Il y a des corneilles partout dans nos villes’’ écrit Baptiste
Morizot dans son dernier essai, ‘’Manières d’être vivant’’ (Actes Sud) ‘’leurs
appels arrivent chaque jour à nos oreilles et nous n’entendons rien, parce
qu’on les a transformés en bêtes dans nos imaginaires : en ‘nature’. Il y
a quelque chose de triste dans le fait que les dix chants d’oiseaux différents
qu’on entend chaque jour ne parviennent pas au cerveau autrement que comme
bruit blanc…alors qu’ils constituent, pour qui veut bien essayer de les
traduire…des myriades de messages géopolitiques, de négociations territoriales,
de sérénades, d’intimidation...’’
J’aurais bien aimé le démentir mais mes connaissances en ornithologie me
permettent tout juste de distinguer le chant du coq et celui du coucou. Pour le
reste, nada ! Je vais néanmoins tenter de retranscrire, à l’écrit, leur
discussion animée. L’un d’eux (ou l’une d’ailes) s’exprime en morse : tip
tip tiiiip tip tip tiiiip tip tip tiiiip, silence, et puis rebelote. Ailleurs,
un bruit de manivelle, mais une manivelle qui aurait besoin d’huile, ça grince,
ça couine même, c’est un oiseau, j’aimerais bien savoir lequel. Un autre
s’exprime à coups de ‘’tac-tac’’, comme si on tapait l’une contre l’autre des
planchettes en bois. Au loin, des cris de mouettes (mais s’agit-il bien de
mouettes ?) et un croa-croa solitaire (mais s’agit-il bien d’un
corbeau ?). Mon préféré ne chante pas, il sifflote, des petits grelots
dans la voix. Je ne sais pas si les oiseaux peuvent être heureux mais si oui,
alors c’est le cas de celui-là.
On apprend tout un tas de choses dans Habiter en oiseau de Vinciane
Despret (Actes Sud), comme par exemple la façon qu’ont ces animaux d’occuper
leur territoire, notamment par le chant. Ce qui s'apparente, à l’oreille du
profane, à un concert désordonné est en fait une petite symphonie savamment
orchestrée. Lorsque les oiseaux chantent, ils sont à l’écoute des autres. Il
n’y a ‘’ni cacophonie, ni intervalles de silence, mais une partition faite
de relais et de reprises. Ces chorus témoignent…d’une véritable coordination
entre les oiseaux, ils attestent l’existence d’une forte association entre
eux’’, leurs territoires ‘’sont des compositions et des accords mélodiques’’,
‘’car c’est cela également vivre dans un territoire chanté : c’est
composer et s’accorder avec des chants’’. Je ne sais pas précisément
pourquoi, mais cet extrait du livre de Vinciane Despret m’a fait penser au
chant des Italiens à leurs fenêtres. On écoute à nouveau les oiseaux
distinctement à Paris, et sans doute dans les autres villes en ce moment. C’est
le grand paradoxe de cette période de confinement, que de nous faire entendre
ce qui est en train de disparaitre.
Bibliographie
Habiter
en oiseau de Vinciane Despret Actes
Sud, 2019
Manières
d'être vivant de Baptiste Morizot Actes
Sud, 2020
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