Penser à partir de l’Actu avec
les confinés du Crous
Coronavirus: les confinés du
Crous 25 mars 2020 Par Khedidja
Zerouali et Faïza
Zerouala -
Mediapart.fr
De nombreux étudiants ont choisi de rentrer chez leurs
parents, d’autres n’en ont pas eu la possibilité ou ont choisi de ne pas le
faire. Dans les résidences universitaires, seuls 25 à 40 % des étudiants
sont restés. Et pour ceux-là, le confinement est difficile dans quelques
mètres carrés exigus et oppressants.
« C’est oppressant, 18 m². » À Dijon, le temps s’étire lentement dans la chambre
du Crous de Laura, 18 ans, étudiante en L1 d’histoire. Le ménage s’y fait
rare dans sa résidence. L’impression de vivre dans une résidence fantôme. Elle
cohabite depuis la rentrée de septembre avec des crottes de souris dans les
couloirs. La résidence n’est pas vraiment sécurisée non plus. Mais à choisir,
elle a préféré rester là plutôt que de retrouver ses parents et sa petite sœur
dans une petite ville de Saône-et-Loire. Déjà, là-bas, la connexion Internet
est capricieuse, impossible de bien travailler – et de se distraire – dans
ces conditions. Et elle n’est pas sûre de pouvoir tenir plusieurs semaines « mentalement »
dans ce huis clos familial. « Au début, ça allait mais ça commence à
faire long, explique-t-elle au bout d’une semaine de confinement. Je
suis toute seule, il n’y a pas un bruit, je n’ai aucun voisin, c’est un peu
insupportable. » Elle sait qu’une étudiante avec un bébé est restée,
elle entend quelques pleurs parfois.
En ces temps de confinement, les résidences universitaires restent ouvertes
pour continuer d’abriter les étudiants qui n’ont pas pu ou désiré rentrer dans
leur foyer familial. Entre 25 et 40 % d’étudiants sont encore présents
dans les résidences du Crous, avec des disparités par régions et résidences,
indique le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le Cnous. Mais
il faut pour ces étudiants isolés composer plus que jamais avec la solitude,
les désordres psychologiques, supporter des conditions d’hygiène parfois
douteuses, et jongler avec un budget restreint quand l’approvisionnement
devient difficile.
En deuxième année de master de communication publique à Roubaix, dans le
Nord, Justine est de ceux-là. Depuis septembre 2017, elle habite une
chambre de 9 m² dans la résidence Crous de Mons-en-Barœul, à
8 kilomètres de son lieu d’études. Depuis plus d’une semaine, elle ne sort
plus de son appartement qu’une ou deux fois par jour, pour se doucher ou aller
aux toilettes. Dans sa chambre, qui lui sert aussi de cuisine et de salon, elle
a ajouté une étagère, un four et un micro-ondes. Pour ses quelques mètres
encombrés, elle paye 207 euros. Justine est boursière échelon 0 bis, sa
maigre bourse de 100 euros par mois lui suffit tout juste à se payer à
manger. Son père, formateur en bâtiment à la Chambre des métiers et sa mère,
infirmière en hôpital psychiatrique, paient son loyer et le reste.
Dès les premières annonces gouvernementales, l’étudiante originaire de la
Deûle a préféré rester chez elle contrairement à certains de ses voisins, dont
le ballet des valises à roulettes a rythmé les premiers jours de son
confinement. « Moi je ne peux pas me permettre de rentrer et de
possiblement mettre en danger mes parents, peut-être que je suis porteur sain
et que je ne le sais pas. Et puis mes parents sont divorcés, je ne voulais pas
fâcher l’un ou l’autre en choisissant, alors je suis restée chez moi »,
explique la jeune femme. Cependant, depuis quelques jours, il est devenu
presque impossible pour elle de travailler dans une chambre si petite qu’elle
en devient vite angoissante. Si toutefois l’envie lui prenait de sortir de son
9 m² pour aller dans les espaces communs, elle s’exposerait rapidement à
une contagion. Les gestes barrières ne sont pas respectés par ses voisins de
palier qui, selon ses dires, « s’en foutent complètement du
coronavirus ». Elle estime aussi que l’état de propreté de sa
résidence la met en danger, elle et ces mêmes voisins. Justine raconte les
machines à laver insuffisantes – deux pour toute la résidence –, les
murs tachés, les rideaux de douche arrachés, les cafards qu’elle croise souvent
dans sa chambre, qui infectent tout le bâtiment, les touffes de cheveux
laissées dans les salles de bains communes, le sol sale, encore plus sale que
d’habitude. « Le bâtiment est déjà dans un sale état mais, en plus, je
crois que depuis le confinement, le ménage n’est plus fait. Plus personne ne
passe, c’est sûr, puisque je croise les mêmes taches depuis une semaine. Et
d’autres qui s’y ajoutent », souffle-t-elle avant de préciser : « En
pleine crise sanitaire, c’est quand même le comble ! »
Ce sont les conditions de vie difficiles qui ont poussé Soufyane, 21 ans, à
trouver un abri ailleurs. Il a tenté de tenir quelques jours dans sa chambre de
9 m2. Étudiant en L2 d’histoire à Rennes 2, il s’accommode en
règle générale de la promiscuité. Sa vie tient dans cet espace où trônent un
mini-réfrigérateur, son lit une place, son bureau et un coin douche/toilettes.
La cuisine est commune à l’étage. En ce temps de confinement, l’étudiant a
d’abord considéré que c’est « plaisant » car cela permet de
croiser des personnes, sans avoir l’impression d’être seul au monde. Le 16
mars, les étudiants ont reçu un message du Crous pour les inciter à quitter leurs
chambres afin de vivre le confinement dans de meilleures conditions. Les plus
précaires sont restés. Soufyane en fait partie. Lui a des relations familiales
compliquées, il évite autant que possible de rentrer chez son père. Investi
dans l’organisation Solidaires étudiant.e.s, le jeune homme a lutté contre la
hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et, à cette
occasion, a noué des amitiés avec certains d’entre eux. Mais l’annonce de la
fermeture de la cuisine de son étage le glace. « Cela signifie que plus
d’étudiants vont se retrouver dans un espace restreint. Déjà, on n’a pas trop
de confort mais là ça signifie qu’on doit faire des allers-retours entre
étages. » Depuis, elle a rouvert. Il constate aussi que le nettoyage
habituel n’est pas assuré et que les résidents doivent assumer cette charge. « C’est
normal que le personnel de ménage ne travaille pas, nous on continue de payer
le loyer et on nous demande de faire un travail gratuit qui est d’habitude
rémunéré. » Le personnel habitué à garder la résidence n’est plus
aussi présent, relève encore Soufyane. Il se sent « abandonné car les
informations arrivent au compte-gouttes ». Après deux jours de
confinement strict, il fourre quelques vêtements, sa nourriture et quelques
livres, il s’échappe pour aller vivre dans une colocation avec des amis, « comme
si je partais une semaine en voyage ». Le séjour devrait durer plus
longtemps…
Les difficultés de faire des courses
Présidente du Cnous, Dominique Marchand, gère la crise au plus près. La
première réaction a été de fermer les restaurants universitaires. Puis, en
effet, elle confirme avoir « incité les étudiants logés dans les
résidences, quand ils le pouvaient, à rejoindre leur domicile familial ou
originel. Non pas parce que nous ne pouvions pas les assumer mais il nous
semblait qu’il pouvait être plus confortable pour les étudiants de rejoindre
leurs familles plutôt que de se retrouver tout seuls. Cela s’exerce
différemment selon qu’ils soient étudiants nationaux, internationaux ou ultramarins »,
explique-t-elle à Mediapart. La présidente du Cnous insiste, le ménage continue
dans les résidences, les poubelles sont encore vidées. Elle reconnaît toutefois
que « l’organisation est plus compliquée » car il faut
protéger les personnels de nettoyage. Les plus fragiles ont été invités à se
signaler. Certains n’ont pas d’autre choix que de garder leurs enfants. Quoi
qu’il en soit, les horaires de passage des hommes et femmes de ménage sont
signalés aux résidents pour éviter que les étudiants ne les croisent. Elle
assure aussi que « les veilleurs de nuit sont toujours là. À partir de
minuit, les personnels d’astreinte, qui sont souvent logés sur place, peuvent
être saisis par téléphone. Y compris la nuit. Il y a aussi de la vidéosurveillance. »
Thu est arrivée en France en janvier, avec le programme Erasmus pour
suivre, le temps d’un semestre, les cours d’une licence d’anglais à
l’université de Perpignan. Dans sa chambre Crous de 9 m², tout est rangé
de manière millimétrée. « Ça suffit pour moi toute seule », se
satisfait l’étudiante. Cependant, aux premières annonces du gouvernement, Thu a
rapidement essayé de quitter sa chambre et le pays pour rejoindre ses parents
qui tiennent un petit magasin de construction dans un village au nord du
Viêtnam. En vain. « Dans mon pays, il n’y a que 116 cas à ce jour.
Ma mère m’a dit de revenir, parce que j’étais plus en sécurité au Viêtnam mais
je n’ai pas pu. Et encore, je lui cache pas mal d’informations sur la gravité
de la situation en France pour ne pas la stresser », avoue Thu. L’étudiante
ne sort pas beaucoup, respecte les gestes barrières et a des provisions pour
tenir plusieurs semaines sans quitter sa chambre. Elle avoue avoir peur
d’attraper le virus, non pas uniquement pour d’évidentes raisons de santé, mais
parce qu’en plus, elle ne pourra pas se payer les soins : « Avant
le coronavirus, je ne m’occupais pas de l’assurance-maladie. Mais là, j’ai
demandé à Erasmus si, en cas de complications, mes soins seraient pris en
charge et ils m’ont répondu qu’ils ne prenaient en charge les frais médicaux
qu’à hauteur de 70 %. Si jamais je tombe malade et que je dois payer les
30 % restants, je ne sais pas comment je vais faire. » Alors, en
attendant la fin de l’épidémie, Thu échange tous les jours avec ses parents
qu’elle rassure comme elle peut.
De son côté, Marwa* partage les mêmes inquiétudes que Thu. Elle est
confinée seule car ses parents sont bloqués en Algérie et n’ont pas la
possibilité de rentrer en France, fermeture des frontières oblige. Elle ne sait
pas quand elle les reverra et n’a personne avec qui échanger. Même si
l’étudiante en architecture de 19 ans a l’impression, elle, d’avoir de la
chance. Avec ses 20 m2 dans une cité universitaire du nord de
Paris, elle considère vivre dans un palace. Des amis et de la famille ont
proposé à Marwa de les rejoindre pour vivre cette période étrange avec eux.
Elle a décliné ces offres par « peur de déranger » et surtout
par crainte de contaminer ses hôtes. Le spectre du Covid-19, et ses
complications possibles, n’est pas très présent chez tous ces jeunes,
conscients que la maladie touche davantage les aînés, mais ils ont intégré
qu’ils pouvaient être des vecteurs du virus, sans même avoir de symptômes. « Cela
a été un choix très difficile. C’est stressant. Le soir de l’annonce du
confinement, vers 22 heures, j’ai entendu trois ou quatre personnes faire
leurs valises dans la précipitation pour partir se réfugier ailleurs au plus
vite. » Marwa a de multiples sources d’angoisse : ses parents
coincés dans l’incertitude, la peur d’avoir attrapé le virus et de devoir
affronter la maladie seule, et la crainte de ne pas parvenir à tenir un mois ou
plus sans contact humain ni sortie en dehors des modalités prévues par le
gouvernement.
Ce confinement a aussi une conséquence imprévue sur le budget des
étudiants. Les Français se ruent comme jamais dans les magasins pour stocker de
la nourriture, par crainte de la pénurie. Résultat, il est très difficile de
s’approvisionner. Ou alors à prix d’or. Laura, la jeune femme de Dijon, l’a
vécu lorsqu’elle s’est rendue au supermarché, le lundi 16 mars, veille du
début du confinement. « À cause de la psychose, il n’y avait plus rien
du tout. Les rayons étaient pratiquement vides, il ne restait que les produits
les plus chers, ceux que personne ne prend. » Acculée, elle a dû
dépenser 45 euros pour une vingtaine d’articles qui d’habitude lui coûtent
20 euros de moins. « Je n’ai rien acheté de plus ou de mieux que
d’habitude, sauf que là j’ai de la marque, ce que je n’ai jamais. » Laura
est contrainte de se rationner. Elle se lève plus tard que d’ordinaire, elle
déjeune tard donc elle en profite pour sauter le repas suivant. « Je
peux y retourner dans une semaine ou une semaine et demie mais je ne mange pas
à ma faim. Je fais en sorte de manger peu pour que ça dure. »
Conscients des difficultés d’approvisionnement et de la prégnance de la
précarité chez nombre d’étudiants, des universitaires ont créé un collectif
baptisé Solidarité Continuité Alimentaire Bordeaux. Le mouvement s’est
constitué autour d’une dizaine de maîtres de conférences, de chargés de
recherche, de doctorants et d’étudiants. Quelques bénévoles viennent aider ce
groupe, qui compte des syndiqués Sud solidarités Sup recherche, et qui s’est
constitué lors des dernières mobilisations universitaires contre la réforme des
retraites et la loi pour la recherche. L'un des animateurs du collectif,
explique que le sujet de la précarité étudiante les préoccupe depuis longtemps.
Il regrette, par exemple, que la tentative
de suicide d’un jeune homme à Lyon en novembre, accablé par ses difficultés
financières, n’ait pas provoqué un électrochoc ni de réponse collective à la
hauteur de l’enjeu. Lorsque l’annonce du confinement a été faite, le collectif
s’est préoccupé des plus fragiles, ceux qui ne pourraient pas rentrer chez eux,
faute de lieu d’accueil ou de moyens : les étudiants précaires, les
étrangers qui, parfois, ne connaissent personne ou ceux en rupture familiale. « Pour
les étudiants précaires, nous assistons à un véritable drame, explique
encore l'un des membres du collectif. La plupart de ceux rencontrés dans le
cadre de notre action ont vu se tarir de façon brutale leurs principales
sources de revenus, avec l'arrêt soudain d'un travail en parallèle de leurs
études, parfois même pas déclaré, dans la restauration notamment. Nous avons
plus de 360 demandes, et ça n'arrête pas d'arriver. » L’urgence
prime : « Dans le collectif, on se préoccupe peu de la continuité
pédagogique, notre priorité est la continuité alimentaire. S’ils n’ont pas une
ou deux semaines de cours ce n’est pas grave, mais s’ils ne mangent pas pendant
deux semaines, les conséquences sont dramatiques. Les bénéficiaires sont
extrêmement contents, certains nous ont accueillis tremblant de faim car ils
n’avaient pas mangé depuis des jours. » Les paniers sont composés en
majorité de produits non périssables comme du riz, des pâtes, des boîtes de
conserve mais aussi des œufs, des produits d’hygiène comme des protections
périodiques, des mouchoirs ou du papier
toilette.
La crainte des conséquences psychologiques
Du reste, les étudiants sont censés étudier au nom de cette sacro-sainte « continuité
pédagogique » appelée de ses vœux par le gouvernement, et ce même si les examens
et concours sont reportés à une date ultérieure. Thu suit, à
distance, des cours sur des plateformes dysfonctionnelles. « Les
professeurs sont motivés mais au niveau technique, ça ne marche jamais »,
ajoute-t-elle. Le reste du temps, elle se sent bien seule. Pour s’occuper, elle
cuisine des plats, les prend en photo et les partage sur les réseaux sociaux. Dans
ces conditions de stress, Justine a beaucoup de mal à travailler. « Pour
l’instant, nos cours en ligne se résument à un chat sur notre espace Moodle. Et
souvent, ça plante. Nos oraux ont été transformés en dossiers, ce qui fait que
j’ai maintenant 11 dossiers à rendre. Je croule sous le travail »,
poursuit-elle, bien loin de ceux qui rêvent le confinement comme une cure de
repos.
Marwa ressent même une certaine pression de la part de ses enseignants.
L’année a été perturbée entre les complications liées aux grèves et maintenant
cette crise sanitaire de grande ampleur. « Mais je n’ai pas de quoi
travailler sur place. Fabriquer des maquettes sans outils et sans possibilité
d’aller acheter du matériel, c’est compliqué… » En une semaine, il a
fallu repenser tout un mode de vie. « Il y a personne autour, sur toute
la façade je suis seule ! », explique Marwa qui ne réalise pas
encore qu’elle va devoir apprivoiser cette nouvelle situation seule et surtout
trouver comment rythmer sa journée. « Malgré les séries, les films et
les cours, on fait vite le tour, mine de rien. Avec nos voisins, on évite de se
voir mais on n’hésite pas à se prêter des choses comme du sel ou n’importe quoi
d’autre, juste histoire de voir quelqu’un. En temps normal, il y a la salle
commune qui nous permet de nous voir, là, on est tous enfermés. » Elle
est encore plus stressée que d’habitude. Elle raconte avoir un sommeil
perturbé, ponctué de cauchemars la nuit.
Laura s’astreint pour sa part à une routine, histoire de rythmer les
journées. « Je me lève, je déjeune, je prends mon ordinateur, je
travaille, je discute avec mes potes sur Discord, je range, je nettoie,
j’écoute de la musique, ça me fait un fond sonore. » Elle mesure la
différence entre ceux qui ont pu se réfugier à la campagne, dans des maisons
avec jardin et ceux, comme elle, qui n’ont pas la possibilité de fuir. Laura se
ronge les sangs. Elle ne sait pas comment elle va pouvoir payer son loyer et
financer sa scolarité. Elle travaille les trois mois d’été dans un supermarché.
Mais là, les concours et partiels vont être décalés en juin. Ce qui ne
l’arrange pas.
Justine, l’étudiante en communication, est censée partir bientôt pour
Versailles. Enfin, elle espère. Son stage, initialement prévu du 6 avril
au 4 septembre, a été annulé. Cependant, elle a déjà payé un appartement
là-bas. « 630 euros, plus l’électricité et sans les APL. C’est énorme
mais j’ai été pendant des années dans les 9 m² du Crous, je n’en peux
plus. Je voulais faire mon stage de fin d’études dans de meilleures
conditions », explique-t-elle. La crise sanitaire a quelque peu
bousculé son programme. La propriétaire du logement à Versailles ne lui a
toujours pas indiqué si le locataire actuel allait rester ou pas, en raison du
confinement. « Mais moi, je veux absolument partir d’ici. J’espère que
le locataire ne restera pas plus longtemps que prévu et si c’est le cas, je
devrai demander au Crous de repousser mon préavis, j’espère qu’ils
accepteront... », s’inquiète Justine.
D’autres subissent encore le racisme. Depuis le début de l’épidémie, Thu en
est victime. « Aujourd’hui encore, une amie à moi est allée faire ses
courses et sur le retour, en attendant le bus, un homme a crié : “Des
Chinoises, éloignez-vous d’elle.” Au virus, on doit ajouter leur
racisme », se désole l’étudiante vietnamienne.
Le collectif Solidarité Continuité Alimentaire Bordeaux, dresse un constat
similaire. « Un très grand nombre de personnes que nous livrons sont
des personnes racisées ayant des problèmes avec les autorisations de sortie.
Elles se font beaucoup plus contrôler par la police que nous, maîtres de
conférences ou doctorants blancs, et elles risquent d'avoir des problèmes, même
en descendant en bas de leur résidence chercher les sacs de provisions que nous
leur amenons. »
Une autre difficulté émerge. Le confinement risque d’aggraver les maux
psychologiques. Soufyane confie qu’au fond, il n’aurait pas supporté de rester
seul, « allongé dans cette chambre avec personne pour parler ».
D’ordinaire, le jeune homme est en transit dans cet espace, simplement destiné
à dormir. Il passe ses journées à l’université puis dans les cafés avec ses
amis. En effet, difficile de vivre isolé. Surtout lorsqu’on est en proie à des
angoisses, de l’anxiété ou de la dépression. La population
étudiante est vulnérable. Soufyane confie du bout des lèvres « être
dans une période dépressive et avoir peur que cela s’aggrave ». Si
c’était le cas, il craint de ne pouvoir bénéficier d’aucune aide psychologique
car il ne sait pas trop comment accéder à celui de l’université par exemple.
Les questions de précarité et de santé mentale des étudiants sont prises en
compte par le Cnous. Dans les Crous, les psychologues et assistantes sociales
qui interviennent en temps normal sont joignables à distance pour des aides
d’urgence. Les dossiers de bourse, actuellement en cours de constitution, sont
instruits par des personnels en télétravail. Il n’y a pas eu selon Dominique
Marchand de « remontées de cas grave » d’étudiants en grande
difficulté.
Cette situation trouble a de quoi ressusciter l’anxiété et la dépression
dont Laura a beaucoup souffert au lycée. Elle considère que les conditions ne
sont pas optimales, et c’est un euphémisme, pour aller mieux sur le plan
psychologique. Elle craint d’accumuler du retard au niveau scolaire et de ne
pas parvenir à suivre le rythme soutenu imposé par ses enseignants à distance.
Elle a peur qu’Internet – le cordon ombilical qui la rattache au monde
extérieur –, tombe en panne dans sa résidence universitaire. Et plus que tout,
elle est terrifiée à l’idée que l’enfermement la fasse craquer, sombrer et « devenir
vraiment folle ». D’où le lien fusionnel développé avec ses amis ces
temps-ci. « En temps normal, on ne se parle pas tous les jours, ni tous
les soirs, non-stop. » Laura joue de malchance. Elle a des allergies
au pollen très fortes et ne peut pas rester à la fenêtre trop longtemps sous
peine d’éternuer, de tousser et d’avoir des maux de tête insupportables. Son
traitement est à base de cortisone, or il n’est pas recommandé d’en prendre car
cela pourrait entraîner des complications en cas d’infection au Covid-19,
explique-t-elle. « J’ai l’impression d’être en prison et que cela fait
deux mois que tout ça a commencé », soupire-t-elle.
*Le prénom a été modifié. Les membres du collectif Solidarité Continuité
Alimentaire Bordeaux ont souhaité rester anonymes et s'exprimer au nom de leur
collectif. Dans une première version de cet article, un nom a été cité, ce qui
a été corrigé dans la soirée.
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