mardi 31 mars 2020

Penser à partir de l’Actu avec les confinés du Crous


Penser à partir de l’Actu avec les confinés du Crous

Coronavirus: les confinés du Crous 25 mars 2020 Par Khedidja Zerouali et Faïza Zerouala - Mediapart.fr

De nombreux étudiants ont choisi de rentrer chez leurs parents, d’autres n’en ont pas eu la possibilité ou ont choisi de ne pas le faire. Dans les résidences universitaires, seuls 25 à 40 % des étudiants sont restés. Et pour ceux-là, le confinement est difficile dans quelques mètres carrés exigus et oppressants.
« C’est oppressant, 18 m². » À Dijon, le temps s’étire lentement dans la chambre du Crous de Laura, 18 ans, étudiante en L1 d’histoire. Le ménage s’y fait rare dans sa résidence. L’impression de vivre dans une résidence fantôme. Elle cohabite depuis la rentrée de septembre avec des crottes de souris dans les couloirs. La résidence n’est pas vraiment sécurisée non plus. Mais à choisir, elle a préféré rester là plutôt que de retrouver ses parents et sa petite sœur dans une petite ville de Saône-et-Loire. Déjà, là-bas, la connexion Internet est capricieuse, impossible de bien travailler – et de se distraire – dans ces conditions. Et elle n’est pas sûre de pouvoir tenir plusieurs semaines « mentalement » dans ce huis clos familial. « Au début, ça allait mais ça commence à faire long, explique-t-elle au bout d’une semaine de confinement. Je suis toute seule, il n’y a pas un bruit, je n’ai aucun voisin, c’est un peu insupportable. » Elle sait qu’une étudiante avec un bébé est restée, elle entend quelques pleurs parfois.

En ces temps de confinement, les résidences universitaires restent ouvertes pour continuer d’abriter les étudiants qui n’ont pas pu ou désiré rentrer dans leur foyer familial. Entre 25 et 40 % d’étudiants sont encore présents dans les résidences du Crous, avec des disparités par régions et résidences, indique le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le Cnous. Mais il faut pour ces étudiants isolés composer plus que jamais avec la solitude, les désordres psychologiques, supporter des conditions d’hygiène parfois douteuses, et jongler avec un budget restreint quand l’approvisionnement devient difficile.

En deuxième année de master de communication publique à Roubaix, dans le Nord, Justine est de ceux-là. Depuis septembre 2017, elle habite une chambre de 9 m² dans la résidence Crous de Mons-en-Barœul, à 8 kilomètres de son lieu d’études. Depuis plus d’une semaine, elle ne sort plus de son appartement qu’une ou deux fois par jour, pour se doucher ou aller aux toilettes. Dans sa chambre, qui lui sert aussi de cuisine et de salon, elle a ajouté une étagère, un four et un micro-ondes. Pour ses quelques mètres encombrés, elle paye 207 euros. Justine est boursière échelon 0 bis, sa maigre bourse de 100 euros par mois lui suffit tout juste à se payer à manger. Son père, formateur en bâtiment à la Chambre des métiers et sa mère, infirmière en hôpital psychiatrique, paient son loyer et le reste.

  La chambre de Justine

 Dès les premières annonces gouvernementales, l’étudiante originaire de la Deûle a préféré rester chez elle contrairement à certains de ses voisins, dont le ballet des valises à roulettes a rythmé les premiers jours de son confinement. « Moi je ne peux pas me permettre de rentrer et de possiblement mettre en danger mes parents, peut-être que je suis porteur sain et que je ne le sais pas. Et puis mes parents sont divorcés, je ne voulais pas fâcher l’un ou l’autre en choisissant, alors je suis restée chez moi », explique la jeune femme. Cependant, depuis quelques jours, il est devenu presque impossible pour elle de travailler dans une chambre si petite qu’elle en devient vite angoissante. Si toutefois l’envie lui prenait de sortir de son 9 m² pour aller dans les espaces communs, elle s’exposerait rapidement à une contagion. Les gestes barrières ne sont pas respectés par ses voisins de palier qui, selon ses dires, « s’en foutent complètement du coronavirus ». Elle estime aussi que l’état de propreté de sa résidence la met en danger, elle et ces mêmes voisins. Justine raconte les machines à laver insuffisantes – deux pour toute la résidence –, les murs tachés, les rideaux de douche arrachés, les cafards qu’elle croise souvent dans sa chambre, qui infectent tout le bâtiment, les touffes de cheveux laissées dans les salles de bains communes, le sol sale, encore plus sale que d’habitude. « Le bâtiment est déjà dans un sale état mais, en plus, je crois que depuis le confinement, le ménage n’est plus fait. Plus personne ne passe, c’est sûr, puisque je croise les mêmes taches depuis une semaine. Et d’autres qui s’y ajoutent », souffle-t-elle avant de préciser : « En pleine crise sanitaire, c’est quand même le comble ! »

Ce sont les conditions de vie difficiles qui ont poussé Soufyane, 21 ans, à trouver un abri ailleurs. Il a tenté de tenir quelques jours dans sa chambre de 9 m2. Étudiant en L2 d’histoire à Rennes 2, il s’accommode en règle générale de la promiscuité. Sa vie tient dans cet espace où trônent un mini-réfrigérateur, son lit une place, son bureau et un coin douche/toilettes. La cuisine est commune à l’étage. En ce temps de confinement, l’étudiant a d’abord considéré que c’est « plaisant » car cela permet de croiser des personnes, sans avoir l’impression d’être seul au monde. Le 16 mars, les étudiants ont reçu un message du Crous pour les inciter à quitter leurs chambres afin de vivre le confinement dans de meilleures conditions. Les plus précaires sont restés. Soufyane en fait partie. Lui a des relations familiales compliquées, il évite autant que possible de rentrer chez son père. Investi dans l’organisation Solidaires étudiant.e.s, le jeune homme a lutté contre la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et, à cette occasion, a noué des amitiés avec certains d’entre eux. Mais l’annonce de la fermeture de la cuisine de son étage le glace. « Cela signifie que plus d’étudiants vont se retrouver dans un espace restreint. Déjà, on n’a pas trop de confort mais là ça signifie qu’on doit faire des allers-retours entre étages. » Depuis, elle a rouvert. Il constate aussi que le nettoyage habituel n’est pas assuré et que les résidents doivent assumer cette charge. « C’est normal que le personnel de ménage ne travaille pas, nous on continue de payer le loyer et on nous demande de faire un travail gratuit qui est d’habitude rémunéré. » Le personnel habitué à garder la résidence n’est plus aussi présent, relève encore Soufyane. Il se sent « abandonné car les informations arrivent au compte-gouttes ». Après deux jours de confinement strict, il fourre quelques vêtements, sa nourriture et quelques livres, il s’échappe pour aller vivre dans une colocation avec des amis, « comme si je partais une semaine en voyage ». Le séjour devrait durer plus longtemps…

Les difficultés de faire des courses

Présidente du Cnous, Dominique Marchand, gère la crise au plus près. La première réaction a été de fermer les restaurants universitaires. Puis, en effet, elle confirme avoir « incité les étudiants logés dans les résidences, quand ils le pouvaient, à rejoindre leur domicile familial ou originel. Non pas parce que nous ne pouvions pas les assumer mais il nous semblait qu’il pouvait être plus confortable pour les étudiants de rejoindre leurs familles plutôt que de se retrouver tout seuls. Cela s’exerce différemment selon qu’ils soient étudiants nationaux, internationaux ou ultramarins », explique-t-elle à Mediapart. La présidente du Cnous insiste, le ménage continue dans les résidences, les poubelles sont encore vidées. Elle reconnaît toutefois que « l’organisation est plus compliquée » car il faut protéger les personnels de nettoyage. Les plus fragiles ont été invités à se signaler. Certains n’ont pas d’autre choix que de garder leurs enfants. Quoi qu’il en soit, les horaires de passage des hommes et femmes de ménage sont signalés aux résidents pour éviter que les étudiants ne les croisent. Elle assure aussi que « les veilleurs de nuit sont toujours là. À partir de minuit, les personnels d’astreinte, qui sont souvent logés sur place, peuvent être saisis par téléphone. Y compris la nuit. Il y a aussi de la vidéosurveillance. »

Thu est arrivée en France en janvier, avec le programme Erasmus pour suivre, le temps d’un semestre, les cours d’une licence d’anglais à l’université de Perpignan. Dans sa chambre Crous de 9 m², tout est rangé de manière millimétrée. « Ça suffit pour moi toute seule », se satisfait l’étudiante. Cependant, aux premières annonces du gouvernement, Thu a rapidement essayé de quitter sa chambre et le pays pour rejoindre ses parents qui tiennent un petit magasin de construction dans un village au nord du Viêtnam. En vain. « Dans mon pays, il n’y a que 116 cas à ce jour. Ma mère m’a dit de revenir, parce que j’étais plus en sécurité au Viêtnam mais je n’ai pas pu. Et encore, je lui cache pas mal d’informations sur la gravité de la situation en France pour ne pas la stresser », avoue Thu. L’étudiante ne sort pas beaucoup, respecte les gestes barrières et a des provisions pour tenir plusieurs semaines sans quitter sa chambre. Elle avoue avoir peur d’attraper le virus, non pas uniquement pour d’évidentes raisons de santé, mais parce qu’en plus, elle ne pourra pas se payer les soins : « Avant le coronavirus, je ne m’occupais pas de l’assurance-maladie. Mais là, j’ai demandé à Erasmus si, en cas de complications, mes soins seraient pris en charge et ils m’ont répondu qu’ils ne prenaient en charge les frais médicaux qu’à hauteur de 70 %. Si jamais je tombe malade et que je dois payer les 30 % restants, je ne sais pas comment je vais faire. » Alors, en attendant la fin de l’épidémie, Thu échange tous les jours avec ses parents qu’elle rassure comme elle peut.

La chambre de Thu.

De son côté, Marwa* partage les mêmes inquiétudes que Thu. Elle est confinée seule car ses parents sont bloqués en Algérie et n’ont pas la possibilité de rentrer en France, fermeture des frontières oblige. Elle ne sait pas quand elle les reverra et n’a personne avec qui échanger. Même si l’étudiante en architecture de 19 ans a l’impression, elle, d’avoir de la chance. Avec ses 20 m2 dans une cité universitaire du nord de Paris, elle considère vivre dans un palace. Des amis et de la famille ont proposé à Marwa de les rejoindre pour vivre cette période étrange avec eux. Elle a décliné ces offres par « peur de déranger » et surtout par crainte de contaminer ses hôtes. Le spectre du Covid-19, et ses complications possibles, n’est pas très présent chez tous ces jeunes, conscients que la maladie touche davantage les aînés, mais ils ont intégré qu’ils pouvaient être des vecteurs du virus, sans même avoir de symptômes. « Cela a été un choix très difficile. C’est stressant. Le soir de l’annonce du confinement, vers 22 heures, j’ai entendu trois ou quatre personnes faire leurs valises dans la précipitation pour partir se réfugier ailleurs au plus vite. » Marwa a de multiples sources d’angoisse : ses parents coincés dans l’incertitude, la peur d’avoir attrapé le virus et de devoir affronter la maladie seule, et la crainte de ne pas parvenir à tenir un mois ou plus sans contact humain ni sortie en dehors des modalités prévues par le gouvernement.

Ce confinement a aussi une conséquence imprévue sur le budget des étudiants. Les Français se ruent comme jamais dans les magasins pour stocker de la nourriture, par crainte de la pénurie. Résultat, il est très difficile de s’approvisionner. Ou alors à prix d’or. Laura, la jeune femme de Dijon, l’a vécu lorsqu’elle s’est rendue au supermarché, le lundi 16 mars, veille du début du confinement. « À cause de la psychose, il n’y avait plus rien du tout. Les rayons étaient pratiquement vides, il ne restait que les produits les plus chers, ceux que personne ne prend. » Acculée, elle a dû dépenser 45 euros pour une vingtaine d’articles qui d’habitude lui coûtent 20 euros de moins. « Je n’ai rien acheté de plus ou de mieux que d’habitude, sauf que là j’ai de la marque, ce que je n’ai jamais. » Laura est contrainte de se rationner. Elle se lève plus tard que d’ordinaire, elle déjeune tard donc elle en profite pour sauter le repas suivant. « Je peux y retourner dans une semaine ou une semaine et demie mais je ne mange pas à ma faim. Je fais en sorte de manger peu pour que ça dure. »

Conscients des difficultés d’approvisionnement et de la prégnance de la précarité chez nombre d’étudiants, des universitaires ont créé un collectif baptisé Solidarité Continuité Alimentaire Bordeaux. Le mouvement s’est constitué autour d’une dizaine de maîtres de conférences, de chargés de recherche, de doctorants et d’étudiants. Quelques bénévoles viennent aider ce groupe, qui compte des syndiqués Sud solidarités Sup recherche, et qui s’est constitué lors des dernières mobilisations universitaires contre la réforme des retraites et la loi pour la recherche. L'un des animateurs du collectif, explique que le sujet de la précarité étudiante les préoccupe depuis longtemps. Il regrette, par exemple, que la tentative de suicide d’un jeune homme à Lyon en novembre, accablé par ses difficultés financières, n’ait pas provoqué un électrochoc ni de réponse collective à la hauteur de l’enjeu. Lorsque l’annonce du confinement a été faite, le collectif s’est préoccupé des plus fragiles, ceux qui ne pourraient pas rentrer chez eux, faute de lieu d’accueil ou de moyens : les étudiants précaires, les étrangers qui, parfois, ne connaissent personne ou ceux en rupture familiale. « Pour les étudiants précaires, nous assistons à un véritable drame, explique encore l'un des membres du collectif. La plupart de ceux rencontrés dans le cadre de notre action ont vu se tarir de façon brutale leurs principales sources de revenus, avec l'arrêt soudain d'un travail en parallèle de leurs études, parfois même pas déclaré, dans la restauration notamment. Nous avons plus de 360 demandes, et ça n'arrête pas d'arriver. » L’urgence prime : « Dans le collectif, on se préoccupe peu de la continuité pédagogique, notre priorité est la continuité alimentaire. S’ils n’ont pas une ou deux semaines de cours ce n’est pas grave, mais s’ils ne mangent pas pendant deux semaines, les conséquences sont dramatiques. Les bénéficiaires sont extrêmement contents, certains nous ont accueillis tremblant de faim car ils n’avaient pas mangé depuis des jours. » Les paniers sont composés en majorité de produits non périssables comme du riz, des pâtes, des boîtes de conserve mais aussi des œufs, des produits d’hygiène comme des protections périodiques, des mouchoirs ou du papier toilette.

La crainte des conséquences psychologiques

Du reste, les étudiants sont censés étudier au nom de cette sacro-sainte « continuité pédagogique » appelée de ses vœux par le gouvernement, et ce même si les examens et concours sont reportés à une date ultérieure. Thu suit, à distance, des cours sur des plateformes dysfonctionnelles. « Les professeurs sont motivés mais au niveau technique, ça ne marche jamais », ajoute-t-elle. Le reste du temps, elle se sent bien seule. Pour s’occuper, elle cuisine des plats, les prend en photo et les partage sur les réseaux sociaux. Dans ces conditions de stress, Justine a beaucoup de mal à travailler. « Pour l’instant, nos cours en ligne se résument à un chat sur notre espace Moodle. Et souvent, ça plante. Nos oraux ont été transformés en dossiers, ce qui fait que j’ai maintenant 11 dossiers à rendre. Je croule sous le travail », poursuit-elle, bien loin de ceux qui rêvent le confinement comme une cure de repos.

Marwa ressent même une certaine pression de la part de ses enseignants. L’année a été perturbée entre les complications liées aux grèves et maintenant cette crise sanitaire de grande ampleur. « Mais je n’ai pas de quoi travailler sur place. Fabriquer des maquettes sans outils et sans possibilité d’aller acheter du matériel, c’est compliqué… » En une semaine, il a fallu repenser tout un mode de vie. « Il y a personne autour, sur toute la façade je suis seule ! », explique Marwa qui ne réalise pas encore qu’elle va devoir apprivoiser cette nouvelle situation seule et surtout trouver comment rythmer sa journée. « Malgré les séries, les films et les cours, on fait vite le tour, mine de rien. Avec nos voisins, on évite de se voir mais on n’hésite pas à se prêter des choses comme du sel ou n’importe quoi d’autre, juste histoire de voir quelqu’un. En temps normal, il y a la salle commune qui nous permet de nous voir, là, on est tous enfermés. » Elle est encore plus stressée que d’habitude. Elle raconte avoir un sommeil perturbé, ponctué de cauchemars la nuit.

Laura s’astreint pour sa part à une routine, histoire de rythmer les journées. « Je me lève, je déjeune, je prends mon ordinateur, je travaille, je discute avec mes potes sur Discord, je range, je nettoie, j’écoute de la musique, ça me fait un fond sonore. » Elle mesure la différence entre ceux qui ont pu se réfugier à la campagne, dans des maisons avec jardin et ceux, comme elle, qui n’ont pas la possibilité de fuir. Laura se ronge les sangs. Elle ne sait pas comment elle va pouvoir payer son loyer et financer sa scolarité. Elle travaille les trois mois d’été dans un supermarché. Mais là, les concours et partiels vont être décalés en juin. Ce qui ne l’arrange pas. 

Justine, l’étudiante en communication, est censée partir bientôt pour Versailles. Enfin, elle espère. Son stage, initialement prévu du 6 avril au 4 septembre, a été annulé. Cependant, elle a déjà payé un appartement là-bas. « 630 euros, plus l’électricité et sans les APL. C’est énorme mais j’ai été pendant des années dans les 9 m² du Crous, je n’en peux plus. Je voulais faire mon stage de fin d’études dans de meilleures conditions », explique-t-elle. La crise sanitaire a quelque peu bousculé son programme. La propriétaire du logement à Versailles ne lui a toujours pas indiqué si le locataire actuel allait rester ou pas, en raison du confinement. « Mais moi, je veux absolument partir d’ici. J’espère que le locataire ne restera pas plus longtemps que prévu et si c’est le cas, je devrai demander au Crous de repousser mon préavis, j’espère qu’ils accepteront... », s’inquiète Justine.

D’autres subissent encore le racisme. Depuis le début de l’épidémie, Thu en est victime. « Aujourd’hui encore, une amie à moi est allée faire ses courses et sur le retour, en attendant le bus, un homme a crié : “Des Chinoises, éloignez-vous d’elle.” Au virus, on doit ajouter leur racisme », se désole l’étudiante vietnamienne. 

Le collectif Solidarité Continuité Alimentaire Bordeaux, dresse un constat similaire. « Un très grand nombre de personnes que nous livrons sont des personnes racisées ayant des problèmes avec les autorisations de sortie. Elles se font beaucoup plus contrôler par la police que nous, maîtres de conférences ou doctorants blancs, et elles risquent d'avoir des problèmes, même en descendant en bas de leur résidence chercher les sacs de provisions que nous leur amenons. »
Une autre difficulté émerge. Le confinement risque d’aggraver les maux psychologiques. Soufyane confie qu’au fond, il n’aurait pas supporté de rester seul, « allongé dans cette chambre avec personne pour parler ». D’ordinaire, le jeune homme est en transit dans cet espace, simplement destiné à dormir. Il passe ses journées à l’université puis dans les cafés avec ses amis. En effet, difficile de vivre isolé. Surtout lorsqu’on est en proie à des angoisses, de l’anxiété ou de la dépression. La population étudiante est vulnérable. Soufyane confie du bout des lèvres « être dans une période dépressive et avoir peur que cela s’aggrave ». Si c’était le cas, il craint de ne pouvoir bénéficier d’aucune aide psychologique car il ne sait pas trop comment accéder à celui de l’université par exemple. Les questions de précarité et de santé mentale des étudiants sont prises en compte par le Cnous. Dans les Crous, les psychologues et assistantes sociales qui interviennent en temps normal sont joignables à distance pour des aides d’urgence. Les dossiers de bourse, actuellement en cours de constitution, sont instruits par des personnels en télétravail. Il n’y a pas eu selon Dominique Marchand de « remontées de cas grave » d’étudiants en grande difficulté.

Cette situation trouble a de quoi ressusciter l’anxiété et la dépression dont Laura a beaucoup souffert au lycée. Elle considère que les conditions ne sont pas optimales, et c’est un euphémisme, pour aller mieux sur le plan psychologique. Elle craint d’accumuler du retard au niveau scolaire et de ne pas parvenir à suivre le rythme soutenu imposé par ses enseignants à distance. Elle a peur qu’Internet – le cordon ombilical qui la rattache au monde extérieur –, tombe en panne dans sa résidence universitaire. Et plus que tout, elle est terrifiée à l’idée que l’enfermement la fasse craquer, sombrer et « devenir vraiment folle ». D’où le lien fusionnel développé avec ses amis ces temps-ci. « En temps normal, on ne se parle pas tous les jours, ni tous les soirs, non-stop. » Laura joue de malchance. Elle a des allergies au pollen très fortes et ne peut pas rester à la fenêtre trop longtemps sous peine d’éternuer, de tousser et d’avoir des maux de tête insupportables. Son traitement est à base de cortisone, or il n’est pas recommandé d’en prendre car cela pourrait entraîner des complications en cas d’infection au Covid-19, explique-t-elle. « J’ai l’impression d’être en prison et que cela fait deux mois que tout ça a commencé », soupire-t-elle.

*Le prénom a été modifié. Les membres du collectif Solidarité Continuité Alimentaire Bordeaux ont souhaité rester anonymes et s'exprimer au nom de leur collectif. Dans une première version de cet article, un nom a été cité, ce qui a été corrigé dans la soirée.

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