BTS1 PIRATERIE ET UTOPIE Le
pirate, l’ennemi de l’ordre social ?
L’Age d’or des pirates : A propos de Villains
of All Nations. Atlantic Pirates in the Golden Age, (1716-1726), de Marcus
Rediker, éd. Verso (Londres et New York), 2004. Article paru dans Echanges n°125
(été 2008).
Depuis la parution de cet article, une traduction française de ce livre est
sortie aux éditions Libertallia, sous le titre Pirates de tous les pays
L’âge d’or de la piraterie atlantique (1716-1726). En même temps est parue
une traduction d’un ouvrage de Marcus Rediker et Peter Linebaugh, L’Hydre
aux mille visages. L’Histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire, éd.
Amsterdam.
Les pirates, ça fait très romantique. Qui n’a pas lu L’Ile au Trésor
de Stevenson ? Qui n’a pas rêvé des hauts faits de ces intrépides
seigneurs de la mer ? Qui n’a pas fait état de leur violence et de leur
cruauté ? Mais qui peut penser que les pirates furent un pur produit de la
lutte de classes à l’ère de l’expansion du capital, qui vit le développement du
commerce maritime et de la colonisation au XIXe siècle ? Pourtant cette
étude minutieuse et détaillée des origines et des vicissitudes de la piraterie
montre bien ce que fut en réalité l’âge d’or de la piraterie de 1650 à 1730.
Les chiffres montrent son importance économique et expliquent comment les
nations capitalistes finirent par s’unir pour l’éliminer (après l’avoir plus ou
moins utilisée, avec les corsaires, dans leurs guerres intestines pour la
domination mondiale, qui se jouait alors en grande partie sur la mer).
Cette élimination ne se régla pas seulement dans le combat naval, mais dans
un arsenal répressif commun (qui n’est pas sans rappeler la présente lutte
internationale contre le terrorisme). Les décrets pris par la classe dominante
de tous pays décrivent les pirates comme des « monstres assoiffés de sang
visant à détruire l’ordre social ». Les mesures répressives visaient
surtout à dissuader ceux des exploités, terriens ou marins, qui auraient été
tentés de trouver dans une vie dangereuse, jouissance de richesse et de
liberté. Entre la misère des campagnes, la cruelle exploitation capitaliste de
ceux qui avaient été contraints d’émigrer vers l’industrie naissante,
l’effroyable condition de ceux qui avaient été séduits ou enrôlés de force sur
les navires marchands ou les vaisseaux de guerre, c’est tout un prolétariat
naissant qui pouvait être attiré par l’aventure sur mer. Pour les uns comme
pour les autres, la discipline était brutale, la nourriture infecte, les
salaires minables, les maladies et les accidents dévastateurs et la mort
précoce. Pour les pirates, la mort rôdait tout autant, mais l’argent était
facile, la nourriture et les beuveries abondantes et on vivait dans un monde
plus ou moins égalitaire. « A merry life but a short one. »
La piraterie fut-elle une des premières tentatives d’un combat prolétarien
et les premiers balbutiements d’une conception d’une société sans classe ?
On peut le penser, non seulement à la mesure des réactions féroces de la bourgeoisie
(qui pouvaient s’expliquer autant par la perte des profits capitalistes que par
le danger pour l’ordre social que représentaient les modèles sociaux de la
piraterie). Les boucaniers voulurent établir des sortes de communautés. Tous
les témoignages concordent : élection des officiers (qui pouvaient être
déchus de la même façon), égalitarisme tant dans le partage des prises que dans
les soins aux blessés et malades, camaraderie et fraternité, et un sentiment de
justice.
La plupart des pirates étaient des jeunes de moins de trente ans venant des
plus basses classes sociales de l’époque et qui avaient occupé les emplois les
plus durs du bas de l’échelle sociale. L’ordre social qu’ils tentaient
d’instituer, c’était finalement eux qui l’avaient conçu et construit
délibérément, en réaction contre tout ce qu’ils avaient souffert dans leur vie
antérieure. On peut penser que cela pouvait aussi inquiéter les tenants de
l’ordre social, non seulement parce que la perspective d’un autre ordre
menaçait la discipline sur les navires, mais aussi parce qu’elle pourrait viser
toute l’exploitation du prolétariat dans un monde capitaliste en expansion. A
ce titre, la piraterie mérite bien d’avoir sa place pas seulement dans la geste
prolétarienne mais aussi dans les tentatives concrètes et théoriques de
construire un monde nouveau.
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