Je vous proposerai ici deux séries de documents:
- les uns portant sur les rythmes choisis ou subis de nos existences. Ayez bien en tête la typologie établie par Régis Debray (biorythmes/ethnorythmes/technorythmes) ainsi que les concepts-clés de Paul Virilio (instantanéisme) et de Hartmut Rosa (accélération/décélération - modernité tardive)
- les seconds relatifs à divers aspects de ce que Todorov a théorisé sous l'expression de vie commune.
I. Documents portant sur les rythmes choisis ou subis de nos existences:
Voici le document 1: il porte sur les bienfaits de la marche (en temps de confinement, c'est un peu provocateur, certes...). Retenez le nom de l'anthropologue qui est interviewé, David Le Breton et retenez quelques-unes de ses formules qui vous seront utiles si jamais vous avez, à votre tour, à faire l'éloge (on dit un éloge) de la marche.
https://www.psychologies.com/Therapies/Developpement-personnel/Epanouissement/Interviews/La-marche-quelle-therapie
Marcher, c’est se délivrer de l’urgence, retrouver des sensations oubliées,
toucher le sacré. Une fatigue jubilatoire, s’enthousiasme l’anthropologue David
Le Breton, qui publie Eloge de la marche.
Marcher : Cela fait une
heure que nous parlons, et vent, soleil, renard et rivière – et aussi un orage
qui vient d’éclater sur le campus ! – ont envahi le bureau de David Le Breton,
professeur à l’université de Strasbourg. Qu’il écrive ou qu’il parle, les mots
de cet anthropologue, spécialiste du corps et du risque (Il est l’auteur de
plusieurs ouvrages, dont Des visages et Du silence (Métailié, 1992 et
1997), nous transporte séance tenante sur les pentes de l’Himalaya ou sur les
sentiers des Vosges. Fervent marcheur, c’est en amoureux, et non en scientifique,
qu’il a composé son Eloge de la marche, paru chez Métailié. "J’ai
simplement essayé de transmettre mon plaisir", dit-il. Objectif dépassé. Tous ceux qui marchent déjà – on évalue leur
nombre à quinze millions en France – se délecteront d’y retrouver les moments
magiques qui les remettent encore et encore sur les chemins. Les autres en
auront l’eau à la bouche et profiteront peut-être de leurs vacances pour tenter
l’expérience.
Psychologies : Au fil des pages de votre livre, un mot
revient souvent : “jubilation”. Pourquoi la marche est-elle, à vos yeux, aussi
jubilatoire ? David Le Breton : Oui, c’est bien le mot qui convient ! Et la
jubilation de la marche est multiple. La première raison en est sans doute que
le marcheur abandonne provisoirement toutes les contraintes de la vie
quotidienne. Marcher, c’est se délivrer du stress, de l’urgence, du rendement.
C’est retrouver le temps de vivre. Le marcheur est ouvert au monde, disponible
à ce qui vient. En entrant dans la
forêt par exemple, tous ses sens sont sollicités. Humer, toucher, sentir,
regarder, écouter : on est dans un monde de jubilation sensorielle. La
somptuosité de certaines lumières, les odeurs de terre mouillée ou de résine,
la stridulation des cigales, le craquement des pommes de pin, la rugosité de
l’écorce des arbres, la douceur de la mousse, la fraîcheur du vent sur la peau…
Marcher, c’est réintégrer notre corps,
quitter l’ère de l’humanité assise et renouer avec le plein vent du monde. Le
marcheur retrouve des sensations musculaires oubliées. Il éprouve sous ses
pieds le sol – sablonneux, crissant ou moelleux. Il sent une fatigue physique
qui monte doucement. Mais c’est une fatigue heureuse. S’asseoir dans l’herbe,
dormir à l’ombre d’un arbre ou se baigner dans une rivière découverte par
hasard sont alors des délices, des moments, justement, de jubilation.
Vous écrivez que les plaisirs élémentaires sont
décuplés… Bien sûr ! Après quelques heures de randonnée, on a faim et soif. L’eau
paraît la plus divine des boissons et le pique-nique, un vrai régal. Ou bien on
découvre un petit restaurant dans un village et là, c’est un bonheur inattendu.
On mange avec appétit, l’esprit tranquille. On discute avec le patron ou avec
ses voisins de table de la biche ou de l’écureuil qu’on a aperçu, du rapace
qu’on a vu tournoyer ! Je repense à une marche que j’ai faite cette année avec
ma compagne au Népal. Après avoir longuement monté au sommet des collines, nous
avions entamé une longue descente vers le lac de Pokhara dans la chaleur du
jour. Nous étions trempés de sueur. On entendait un clapotis. Et puis soudain,
le minuscule sentier a débouché sur un ruisseau avec des chutes et des petites
retenues d’eau. On s’est déshabillé, et cette eau fraîche était merveilleuse !
Ce sont des moments où l’on a l’impression que la vie atteint une culmination.
On touche le sacré. Pour l’homme
de la ville, marcher représente un retour à une forme de sacralité. Vous
avancez dans une cathédrale de silence, d’arbres, de couleurs, vous êtes dans
une espèce de liturgie personnelle, qui n’a rien à voir avec les religions,
mais qui mobilise chacun dans ce qu’il a de plus intime. Marcher nous renvoie à
nous-mêmes. En profondeur. A ce qui compte dans nos existences. On le ressent
surtout la nuit. Marcher la nuit est une expérience inoubliable. On n’est plus
dans le monde ordinaire, profane. Je pense aux belles réflexions de Peter
Matthiessen dans “Le Léopard des neiges” (Gallimard, 1991), quand il regarde
" les étoiles s’allumer " sur le toit d’une maison népalaise. C’est
un des plus beaux livres que je connaisse. Sublime aussi, Le Chemin des
nuages blancs (Albin Michel, 1990) de Anagarika Govinda. Quand il décrit
son pèlerinage autour du mont Kailash, en Inde, accompli par des milliers de
bouddhistes, c’est hallucinant de beauté.
Avez-vous fait ce pèlerinage ? Non, j’en rêve ! Ma
compagne m’y pousse ardemment. C’est une marche éprouvante, qui dure des
semaines. Mais je crois que, pour un couple, cela peut être un fabuleux voyage,
une façon de savoir pourquoi, profondément, on est ensemble. Au terme de la
marche, à 5 800 mètres d’altitude, il y a un lieu ultime où le pèlerin délivre
une sorte de message à tous ceux qu’il a aimés ou qu’il n’a pas su aimer, à
ceux qui ont disparu ou qu’il a perdus de vue. Un moment de purification de
soi, un passage initiatique. L’autre est souvent présent dans la marche.
Il y a aussi les compagnons de route avec qui on est dans une communion rare. Même si on marche seul, on est dans un interminable dialogue intérieur. Des visages vous reviennent, l’émotion vous saisit à la vue d’un paysage. On se dit : " Ah, si Untel était là, il adorerait ! "
Il y a aussi les compagnons de route avec qui on est dans une communion rare. Même si on marche seul, on est dans un interminable dialogue intérieur. Des visages vous reviennent, l’émotion vous saisit à la vue d’un paysage. On se dit : " Ah, si Untel était là, il adorerait ! "
Quand tout va mal, la marche peut-elle aider ? Je pense qu’elle
recèle assez de puissance et de beauté pour délivrer de beaucoup de
souffrances. Elle élague, elle remet les choses en place, elle permet de
retrouver le chemin du monde, le cœur et le sens de la vie. Il n’est pas rare
qu’en marchant se prennent des décisions radicales, qui changent une existence.
C’est banal à dire, mais je crois vraiment que c’est une formidable thérapie.
Je l’ai moi-même vécu autrefois. J’étais parti au Brésil en pensant ne
jamais rentrer. J’ai vécu une longue errance, avec un énorme mal de vivre. La
marche et l’écriture m’ont porté. Il est vrai que c’était surtout une marche
dans les villes. Qui peut elle aussi être jubilatoire. Je suis aussi un
marcheur éperdu des villes ! A Rio, à Bombay ou à Lisbonne, j’aime marcher des
heures au hasard, me laisser porter par le génie des lieux, suivre un fleuve,
rêver à une terrasse de café. Il y a des villes où l’on se sent immédiatement
dans un bonheur total, comme dans la main d’un dieu ! Et il est des lieux qui
effraient. J’aime cette idée d’un esprit des lieux. Pour moi, ce sont des
parcours affectifs sans but, sans plan, où l’on se laisse guider par ses
sensations.
En ville ou au Népal, que mettez-vous dans votre sac à
dos ? Question difficile ! Il faut emporter le minimum sans pour autant laisser
l’essentiel. Chacun a ses priorités. Les miennes, ce sont des livres et de quoi
écrire. Mais l’essentiel pour tout marcheur, c’est la boisson, la cape de
pluie, le pull, la lampe électrique parfois. Peu de linge de rechange, on peut
toujours laver. [Prévoir des pinces à linge pour faire sécher ses chaussettes
sur son sac ! (ndlr)] Il faut savoir renoncer, se délester, cela fait partie du
jeu. Et le poids du sac sur les épaules au fil des kilomètres est là pour vous
le rappeler ! Or la marche doit rester une humilité tranquille et une
jouissance.
Conseils pour une bonne randonnée :
·
Premiers pas ? Partez avec des marcheurs expérimentés connaissant
l’itinéraire et munis d’une carte. Choisissez une marche entre 8 et 12 km selon
votre forme, soit entre deux et trois heures de marche sans les pauses (en
montagne, raisonnez en temps et non en distance). Cela vous semble beaucoup ?
Le bienfait de la marche se fait sentir sur la durée.
·
Prévoyez un pique-nique, un litre et demi d’eau, des fruits secs
pour l’énergie. N’oubliez surtout pas le pull et le vêtement de pluie. Mettez
le tout dans un sac à dos confortable.
·
Pour la plaine, achetez des chaussures de petite randonnée souples
et imperméables (autour de 75 €), et portez-les plusieurs fois avant le jour J.
Pour les terrains plus difficiles, investissez dans la " tige haute
", avec une semelle assez rigide. Offrez aussi à vos petons des
chaussettes " spécial marche " (en magasin de sport).
·
Prenez de l’arnica (en homéopathie) avant, pendant et après.
·
Démarrez de bonne heure ! La forêt vous appartiendra et une sieste
vous récompensera. Plus on marche, moins on souffre
"Lassé. Pompé. Vanné. Ereinté. Roué. Crevé. Moulu. Fourbu.
Recru. Rendu. Vidé par mon ascension. Mais heureux. " Comment ce plaisir
né du tourment est-il possible ? Car, avouons-le, marcher, parfois c’est dur !
Voilà une des questions que se pose un autre fou de marche, Yves Paccalet, dans
un essai tonique et instructif, Le Bonheur en marchant (JC Lattès).
Réponse de l’auteur : au-delà d’un certain seuil de fatigue, le cerveau sécrète
des flux d’hormones, ou endorphines, de la famille de la morphine, qui bloquent
les circuits de la douleur. Non seulement la douleur disparaît, mais le cerveau
est inondé par des flux de neurotransmetteurs, qui excitent les centres du
plaisir. D’où l’impression du marcheur en overdose de littéralement avancer sur
un petit nuage. Attention, les courbatures du lendemain sont comprises dans le
trip !
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