BTS1 PIRATERIE ET UTOPIE Les pirates, bandits
sociaux et solidaires? Par Jérémie Ferrer-Bartomeu et Nicolas Iommi-Amunategui
Les pirates, bandits sociaux et solidaires? Par Jérémie
Ferrer-Bartomeu et Nicolas Iommi-Amunategui, Le 23/04/2014
Une entreprise
où l'intégralité des bénéfices est distribuée aux travailleurs qui possèdent
collectivement l'ensemble des moyens de production, où l'échelle des revenus va
de un à cinq en comptant large. Une entreprise où l'on embauche sans
discrimination de sexe, de race ou de religion, où les accidents du travail
sont indemnisés, les vieux et les veuves pris en charge. Une entreprise, enfin,
où les dirigeants sont élus et révocables par les travailleurs, où toutes les
décisions importantes sont soumises au vote. Benoît Hamon en rêve, les pirates
l'ont fait voilà quatre siècles !
Faisons fi des Dysneylanderies JackSparresques et autres
RobertLouisStevensonnades de meilleur aloi. Oublions le grand-guignol
hollywoodien dont on nous rebat le tricorne ainsi que les aventures qui
donnaient des frissons exotiques aux jeunes lecteurs du siècle de la machine à
vapeur. Le pirate du Grand siècle n’est pas seulement homme à se laisser
pousser la barbe « jusqu’aux yeux, à l’entortiller en petites nattes à
l’aide de rubans (...) et à l’enrouler autour de ses oreilles (et) pendant
l’action, (...) fixer sur les bords de son chapeau deux mèches allumées qui,
brûlant de chaque côtés de son visage au yeux féroces, en faisait une figure si
épouvantable que l’imagination ne saurait concevoir une Furie de l’Enfer sous
un aspect plus terrifiant » (1). Il n’y a qu’un seul Barbe-Noire.
À l’époque, trois types de navires croisent en haute mer, les civils, marchands et pêcheurs, les militaires et les pirates. Le pirate se recrute d’abord chez les marins issus des deux autres, lassés des mauvais traitements et des injustices vécues à bord. Au premier rang desquelles le non-versement de salaires de misère. Quand un matelot anglais touche une petite livre sterling chaque mois, certains flibustiers peuvent en dépenser plusieurs milliers en femmes et litres de guildive dans les tavernes des frères de la côte !
À l’époque, trois types de navires croisent en haute mer, les civils, marchands et pêcheurs, les militaires et les pirates. Le pirate se recrute d’abord chez les marins issus des deux autres, lassés des mauvais traitements et des injustices vécues à bord. Au premier rang desquelles le non-versement de salaires de misère. Quand un matelot anglais touche une petite livre sterling chaque mois, certains flibustiers peuvent en dépenser plusieurs milliers en femmes et litres de guildive dans les tavernes des frères de la côte !
« Et vous, capitaines, officiers et marchands qui, par votre
sévérité brutale envers vos équipages, que vous invitez par la désertion à
devenir forban dès que vous êtes dans ce pays, les traitant comme des esclaves
et les nourrissant moins bien. Ayez plus d’attention sur votre conduite qui
vous rend responsable de notre mort ». Voilà quelle harangue un pirate
dominguois, la corde au cou, pouvait lancer à la foule, avant de s’élancer
lui-même de l’échafaud. Bien souvent, après un abordage, les marins du bateau
arraisonné s’engagent joyeusement aux côtés des bandits.
Contrairement à une idée reçue, largement diffusée par les pirates
eux-mêmes qui espèrent ainsi échapper au bourreau après leur arrestation, les
recrutements de force ne sont pas courants chez les pirates. La presse reste l’apanage de la
marine de guerre. Cela dit, il n’est pas rare que certains spécialistes
essentiels au bon fonctionnement du bateau (pilote, charpentier ou chirurgien)
soient contraints de s’engager. D’autres capitaines réquisitionnent également
des musiciens. Moins barbares que le veut la légende, les pirates partent
parfois à l’abordage en musique, de même qu’ils ne rechignent pas à prendre
leur repas au son du violon ou de la trompette. Quant au maître-coq, c’était en
général un pirate mutilé ou trop âgé qui ne participait plus au combat. Sous le
Jolly Roger, « bannière du roi de la mort », on trouve aussi, mais
dans une moindre mesure, des colons ruinés, quelques boucaniers et autres coupeurs de
bois de Campêche (2) chassés par des Espagnols jaloux de leurs prérogatives
(3), des Noirs et même des femmes. C’est le bateau pirate pour tous !
Les règles à bord sont contenues dans un document signé par tout l’équipage : la charte-partie ou chasse-partie. Ce texte s’inspire du « contrat au tiers » de la flotte marchande, qui prévoit de répartir les profits entre les armateurs, les victuailleurs qui fournissent armes et matériel et les officiers qui avancent la maigre paie des marins. Sur un bateau généralement volé, les pirates sont tout cela à la fois et, sous le contrôle du quartier-maître, le partage du profit, des « prises », est relativement égalitaire. Chaque homme d’équipage reçoit une part égale. Et si des parts plus importantes reviennent au capitaine, au quartier-maître et aux spécialistes, le double ou le triple en général, les officiers n’ont pas de cabine personnelle ni d’autre privilège d’aucune sorte.
Les règles à bord sont contenues dans un document signé par tout l’équipage : la charte-partie ou chasse-partie. Ce texte s’inspire du « contrat au tiers » de la flotte marchande, qui prévoit de répartir les profits entre les armateurs, les victuailleurs qui fournissent armes et matériel et les officiers qui avancent la maigre paie des marins. Sur un bateau généralement volé, les pirates sont tout cela à la fois et, sous le contrôle du quartier-maître, le partage du profit, des « prises », est relativement égalitaire. Chaque homme d’équipage reçoit une part égale. Et si des parts plus importantes reviennent au capitaine, au quartier-maître et aux spécialistes, le double ou le triple en général, les officiers n’ont pas de cabine personnelle ni d’autre privilège d’aucune sorte.
De nombreux articles de la chasse-partie règlent encore la solidarité entre
marins ou la distribution scrupuleusement égalitaire de nourriture et de
liqueurs. Elle instaure surtout un gouvernement original du navire en accordant
une place prépondérante à la délibération collective du conseil de bord. Le
vaisseau pirate est bien une Scop comme les autres. La
solidarité entre pirates, qui permet d’indemniser des marins mutilés au combat,
n’est pas une innovation des forbans. Dès le XVIème siècle, la caisse de
Chatham mise en place par les corsaires Drake et Hawkins, prévoit de grasses
indemnisations pour la perte d’un membre - jusqu’à 600 écus pour la perte du
bras droit ou d’une jambe. Pour abonder la caisse de secours, l’équipage
s’engage, toujours dans la charte-partie, à poursuivre la chasse jusqu’à réunir
assez d’argent pour, au moins, indemniser les blessés. On attribue également
une « part des morts », destinée aux héritiers connus du défunt ou à
financer des messes à la mémoire des pirates tombés au combat.
L’organisation quotidienne du navire et les choix de navigation dépendent
largement de l’approbation de l’ensemble de l’équipage. L’élection du capitaine
- qui n’est seul maître à bord qu’au moment de l’abordage - et celle du
quartier-maître sont la règle. Cet exécutif peut être destitué à tout moment,
pour lâcheté, cruauté ou incompétence. Les navires pirates sont autogérés. Le
personnage clé du navire est le quartier-maître qui règle, en dehors des
combats, tous les aspects de la vie quotidienne des pirates ainsi que la
désignation du groupe d’abordage ou la répartition des prises. Tribun de la
plèbe pirate, il est le nécessaire contrepoids à l’autorité du capitaine et prévient
d’éventuelles tentations autocratiques en défendant l’équipage. Mais seul le
conseil est souverain. Monde aux hiérarchies inversées, saturnales de tous les
instants, l’univers forban est également saturé de jurons et de blasphèmes,
sanctionnés dans les autres marines. Nombreux, bien souvent désœuvrés et jaloux
de leur liberté, les flibustiers créent une contre-culture spécifique faite de
loisirs et de coutumes qui forgent la légende pirate. Certains libelles
anonymes (4) et d’autres historiens plus sérieux (5) voient le bateau pirate,
la « société » pirate, comme une contre société anticapitaliste,
libertaire, prolétarienne et démocratique. Presqu’un communisme avant l’heure.
Pour Marcus Rediker, « en expropriant un navire marchand, les
pirates s’approprient les moyens de productions maritimes et déclarent qu’ils
sont la propriété commune de ceux qui travaillent à son bord. Ils abolissent la
relation salariale qui se trouve au cœur du processus d’accumulation
capitaliste. Au lieu de travailler pour des salaires en utilisant les outils et
la machine (le bateau) possédés par le marchand capitaliste, les pirates
dirigent le navire comme leur propre propriété, et partagent équitablement les
risques de leur aventure commune ».
Lorsqu’on lui demande « d’où vient le navire ? », le
pirate répond crânement: « de la mer ! ». Il ne se reconnaît
d’aucune Nation. Si l’on en croit Daniel Defoe, la capitaine Bellamy s’adresse
à un marchand en ces termes : « ... vous êtes un sournois petit morveux
du même acabit que tous ceux qui se laissent mener au bout du nez par les lois
qu’ont faites les riches pour leur propre sécurité, vu que c’est le seul moyen
que ces poltrons ont trouvé pour défendre ce qu’ils ont accaparé en le volant
(...) La seule différence entre eux et nous, c’est qu’ils volent le pauvre sous
le couvert de la loi et que nous pillons le riche sous la protection de notre
seul courage (...) Je suis un prince libre et j’ai autant le droit de faire la
guerre au monde entier que celui qui a cent voiles sur mer ». Marx
n’était pas encore né qu’un spectre hantait l’océan.

Antisocial, partageux, débauché, rétif à l’autorité et parfois homosexuel,
le flibustier a tout pour faire figure de révolté, voire de révolutionnaire. La
Capitaine Johnson (Defoe toujours) révèle qu’il existe des « utopies
pirates ». À Madagascar, un certain capitaine Misson et un dominicain
défroqué du nom de Carracioli auraient fondé Libertalia, une commune libre
pirate, sans propriété privée ni monnaie. Précisons tout de suite que son
existence est sujette à caution, il s’agit fort probablement d’une invention de
Defoe, personne n’a trouvé trace de cette utopie. Mais elle a nourrit
l’imaginaire de libertaires en mal de folklore.
Bien qu’ils incarnent une menace évidente contre l’autorité royale, les
pirates ne constituent pas une communauté unie dans la lutte permanente pour le
renversement de l’ordre dominant. Lorsqu’une guerre éclate entre les puissances
européennes, le pirate n’hésite pas à se faire corsaire et à donner une bonne
part de son butin au Roi. On ne compte plus les pirates qui ont profité des
nombreuses lois d’amnistie pour se ranger. Et en temps normal, ils vendent
leurs marchandises volées aux Nations, par l’intermédiaire de gouverneurs dont
ils partagent parfois la table. Les premiers profiteurs de la contrebande et du
recel sont toujours les marchands et les bons bourgeois. Le gouverneur de
Caroline aurait entretenu un commerce régulier avec Barbe-Noire et aurait même
célébré son dernier mariage (6). Le flibustier protestant Abraham Duquesne
finit marquis et lieutenant-général des armées navales de Louis XIV. Henry
Morgan, célèbre d’entre les célèbres, devient gouverneur de la Jamaïque, mène
la lutte contre la piraterie, fait pendre un certain nombre de ses anciens
camarades et est anobli pour l’ensemble de son œuvre. Comme propagande par le
fait on a vu mieux... Mieux vaut ranger le pirate du côté des amateurs de
grisbi que de l’autogestion. Plutôt Mesrine que Bakounine. Sociaux et
solidaires, les pirates le sont par nécessité, mais ils n’en restent pas moins
des bandits. Certes marginale, critique et parfois menaçante, l’entreprise
flibustière, comme l’ESS, s’insère néanmoins dans l’économie dominante, sansans
jamais la remettre en cause. Elle avance en tanguant, à l'instar du pirate
claudicant qui, une fois à terre, croit toujours devoir tromper le roulis.
(1) Daniel Defoe, alias Capitaine Charles Johnson, Histoire générale des
plus fameux pyrates, T.1, Libretto, 2010.(2) Les «coupeurs de bois de
Campêche» grossissent à leur tour les rangs des pirates. A l’instar des
boucaniers, ils vivent en bonne communauté avec les indiens et sont pourchassés
par les Espagnols. (3) Les «prérogatives espagnoles» et portugaises sur
les terres nouvelles sont octroyées par la bulle Inter Caetera du pape
d’origine espagnole Alexandre VI Borgia, en mai 1493. Et en vertu du traité de
Tordesillas du 7 juin 1494, le Nouveau Monde se divise en deux catégories:
l’espagnole à l’ouest d’un méridien situé approximativement à 46° 37' ouest, et
la portugaise, à l’est. Les autres nations, exclues du partage, favorisent
alors piraterie et contrebande. (4) Collectif Do or Die Bastions pirates, Une histoire libertaire de la
piraterie, Petite bibliothèque d’Aden, 2005 (5) Marcus Rediker, Pirates de tous
les pays, Libertalia, 2008. (6) Jean-Pierre Moreau, Pirates au jour le
jour, Tallandier, 2009.
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