mardi 31 mars 2020

Penser à partir de l’Actu avec le sociologue Bernard Lahire : On semble redécouvrir les inégalités.


Penser à partir de l’Actu avec le sociologue Bernard Lahire : On semble redécouvrir les inégalités.

Bernard Lahire : « Un risque de déflagration pour les plus démunis» 31 mars 2020 Par Faïza Zerouala - Mediapart.fr

Le sociologue Bernard Lahire, professeur de sociologie à l’École normale supérieure de Lyon et auteur du très remarqué Enfances de classe - De l’inégalité parmi les enfants (éditions du Seuil), radiographie des inégalités scolaires, n’est pas étonné que la « continuité pédagogique » voulue par ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer soit difficile. Il explique à Mediapart pourquoi l’école à distance risque de créer des difficultés à ceux qui sont déjà les plus fragiles.

Pourquoi ce confinement a-t-il des conséquences particulières sur les enfants des familles les plus modestes ? Bernard Lahire : Le problème énorme qui surgit en cas de confinement, c’est le fait que le repli sur la sphère familiale et domestique conduit à une accentuation des inégalités de départ. Car les enfants des familles défavorisées ne vivent bien souvent les apprentissages de type scolaire qu’à l’école : leurs parents ne sont pas très diplômés, ils ne sont pas habitués à transmettre pédagogiquement les savoirs scolaires, et une partie d’entre eux ne savent pas lire ou écrire. Pour ces enfants, il n’y a qu’à l’école qu’ils entrent en interaction avec des adultes pouvant les faire entrer dans les savoirs scolaires. Même si l’école reproduit les inégalités de départ, cela reste un lieu de transmission où l’on apprend des choses et où sont parfois contrariées les logiques de reproduction.

Pourquoi l’école à distance ne suffit-elle pas ? Même si ces enfants ont accès à Internet, ce qui est loin d’être le cas de tous, le lien avec l’école se distend s’ils n’ont pas de présence adulte encadrante, tutorante. Les enfants sont davantage happés par la réalité familiale avec toutes les difficultés sociales et culturelles qui lui sont propres. 

Pourquoi est-ce que cette situation semble-t-elle surprendre tout le monde ? On semble redécouvrir les inégalités. Or ceux qui ne veulent pas voir les inégalités, malgré les nombreuses enquêtes statistiques ou les études de cas, n’en ont au fond rien à faire de cette réalité. Leur vision du monde est ainsi façonnée parce qu’ils sont du côté des puissants. Ils ne veulent rien voir de ce qui met au jour leurs privilèges. 

On comprend que les plus modestes vont pâtir de la situation, quand bien même l’école à la maison est difficile pour tous les parents. Tous ceux qui sont « requis » actuellement, comme les soignants parmi lesquels il y a des aides-soignantes, des brancardiers, etc., et pas seulement des médecins et des infirmières, ou ceux qui travaillent dans les magasins d’alimentation ont en plus à gérer la question de l’éducation de leurs enfants. S’il reste un père à la maison parce que la mère est caissière et doit aller travailler, la division sexuelle des tâches fait qu’il ne sera pas toujours très à l’aise dans toutes les tâches éducatives et de suivi scolaire. Il y aura donc une multitude d’effets négatifs qu’on ne mesurera que plusieurs mois après la sortie de crise. Cela peut provoquer une déflagration pour les plus démunis.

Quelles conséquences sur la scolarité des enfants voyez-vous à l’issue du confinement ? C’est énorme pour un enfant de se voir privé d’un mois et demi d’école. Plus ils sont petits, pire c’est, car il existe des périodes critiques dans les apprentissages. Les premières années sont cruciales. Les bases de la construction sont en train de se construire. En grande section de maternelle, par exemple, les petits commencent à entrer dans la lecture, surtout en cette période de l’année. Certains parents vont leur lire des histoires, leur faire faire des jeux pédagogiques, leur apprendre à lire, à écrire, à compter. Les plus démunis culturellement non. C’est terrible.


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