BTS1 PIRATERIE ET UTOPIE Les pirates contre le capitalisme
Les pirates contre le capitalisme Publié le 10 Juin 2017
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Les pirates ont perturbé le bon fonctionnement du commerce maritime. Les
formes d'organisation s'opposent également aux hiérarchies et aux valeurs des
sociétés monarchiques.
Les pirates alimentent l’imaginaire contemporain avec leur
pavillon noir. Les flibustiers apparaissent comme des hors-la-loi qui sabotent
le commerce mondial à l’époque de l’esclavage et de la colonisation. La
piraterie s’inscrit dans la longue histoire de la lutte de classes. Les forçats
de la mer se révoltent contre la discipline qui règne à bord des navires. Le
vaisseau marchand apparaît comme un bagne flottant au XVIIIème siècle dans le
contexte de l’émergence de la révolution industrielle. Les mutineries,
qui annoncent les grèves sauvages, permettent d’entrer dans la piraterie. Les
révoltés s’emparent de leur outil de travail, le bateau, pour vivre dans
l’illégalité contre toute forme de propriété privée. Les pirates recherchent
des rapports égalitaires et désirent vivre dans la liberté. Le capitaine d’un
vaisseau pirate est élu par l’équipage. L’historien Marcus Rediker recherche l’histoire derrière le mythe dans le livre Pirates de tous les pays. Il souligne la quête de vivre
pleinement à travers l’abordage du système marchand. Les pirates ne veulent pas
accumuler des richesses mais vivre dans la jouissance.
Les pirates contre l’ordre social : La piraterie
remet en cause toutes les conventions sociales et les hiérarchies. Les esclaves
africains rejoignent les pirates et remettent en cause la question raciale. Les
femmes pirates attaquent les conventions de genre. Tous vont vaciller le
principe de la nation. « En cousant leur drapeau noir, le symbole
antinational d’un gang de prolétaires hors la loi, ils déclarent la guerre au
monde entier », décrit Marcus Rediker. Les pirates attaquent les navires de
tous les pays et provoquent une crise dans le très lucratif système commercial
atlantique, notamment entre 1716 et 1726. Au début du XVIIIème siècle, des
guerre opposent les grandes puissances, notamment l’Angleterre et la France.
Ces conflits s’expliquent par la volonté de contrôle du commerce maritime. Les
flibustiers sont alors utilisés par les Etats pour nuire aux flottes
commerciales ennemies. Mais, après la guerre, les gouvernements souhaitent une
stabilité économique. En 1713, un traité de paix est signé pour permettre un
partage du pouvoir colonial. Les pirates parviennent à nuire davantage au
commerce que les guerres. Ils capturent et pillent plus de 2400 navires. Ces
bateaux sont sévèrement endommagés ou complètement détruits. Mais, à partir de
1722, les Etats décident de faire la guerre aux pirates qui deviennent alors
plus violents.
La vie et l'organisation pirates : Les pirates sont
souvent des mutins qui refusent les conditions de travail des navires
marchands. Lorsque les flibustiers s’emparent d’un navire, ils proposent à
l’équipage de les rejoindre. Les marins veulent bien les rejoindre mais
craignent le risque de rentrer dans une vie illégale. Les pirates refusent la
contrainte et ne souhaitent recruter que des volontaires. Ils sont issus des
classes sociales les plus basses et ne possèdent rien. Ce sont des marins qui
ont peu à perdre et tout à gagner. Les pirates aspirent à vivre dans un autre ordre
social. Ils inventent de nouvelles règles de gouvernement. Chaque vaisseau
élabore son propre contrat approuvé par l’équipage. Les marins s’appuient sur
ces règles collectives pour confier l’autorité, distribuer le butin et la
nourriture, faire respecter la discipline. Les pirates élisent leur chef par
rapport à son comportement exemplaire, et non selon un statut ou une hiérarchie
imposée. La majorité désigne le capitaine, mais peut aussi les démettre. La
sélection démocratique des officiers contraste avec l’organisation dictatoriale
des navires marchands. Les pirates développent leur propre conception de la justice.
« Ils éprouvent un mépris particulier pour les capitaines marchands, les
officiels du royaume et le système d’autorité », décrit Marcus Rediker. Le
sort d’un capitaine marchand capturé dépend de la manière dont il traite son
équipage. Les pirates, anciens marins, épargne les capitaines les moins brutaux
mais n’hésitent pas à exécuter les plus autoritaires. Les pirates sont
de véritables « frères de la côte ». Ils revendiquent une solidarité et ont
conscience d’appartenir à une même communauté. Le drapeau pirate, le Jolly
Roger, exprime également cette unité.
L’imaginaire pirate : « Nous aimons
les pirates parce qu’ils sont rebelles, parce qu’ils lancent un défi aux
conventions de classe, de race, de genre et de nation. Ils sont pauvres, mais
expriment des idéaux élevés », souligne Marcus Rediker. Les pirates hantent
l’imaginaire populaire. Leur vie est courte, mais intense, joyeuse et rebelle.
L’historien
assume son rôle de conteur, dans le sillage de la tradition orale des classes
populaires. Il valorise une « histoire par en bas » qui permet de donner une
incarnation humaine à la révolte sociale. Comme E.P. Thompson ou encore C.L.R James, il s’appuie sur la littérature et la culture populaire. Mais ces
historiens s’attachent également à restituer le contexte social et politique de
leurs récits. Marcus
Rediker s’appuie également sur le livre de Daniel Defoe, L’Histoire générale
des plus fameux pyrates. Le passage repris dans le livre Libertalia, une utopie pirate montre bien le fonctionnement
et les pratiques de cette véritable contre-société. Ils inventent leurs propres
règles de fonctionnement. Ils s’opposent aux hiérarchies qui règnent dans les
navires commerciaux. Ils considèrent également les esclaves noirs comme leurs
égaux et comme des membres à part entière de l’équipage. Les valeurs pirates
tranchent avec l’ordre réactionnaire qui fondent les régimes monarchiques de
l’époque.
L’utopie pirate : L’imaginaire pirate s’oppose aux
hiérarchies et aux normes sociales. Néanmoins, cet univers reste très viril,
avec des valeurs de force et de courage. Même les quelques femmes pirates
semblent avoir entièrement intériorisé ces codes masculins. Markus Rediker et
Daniel Defoe proposent une vision idéalisée du milieu pirate, sans s'attarder
sur la violence et la brutalité criminelle. Ensuite,
l’imaginaire pirate reste ambigue. Il semble aujourd’hui accaparé par les
réformistes et les citoyennistes plutôt que par des personnes qui désirent une
autre société. Les Anonymous et les TAZ d’Hakim Bey reprennent ce modèle de la
piraterie. Ils ne s’opposent pas de manière conflictuelle à l’ordre social. Ils
tentent plutôt de créer des alternatives au sein de la société marchande. Les
pirates ne s’apparentent pas à un mouvement social qui tente de renverser le
capitalisme. Ils valorisent le plaisir et la liberté ici et maintenant, plutôt
que la projection vers une société nouvelle. Néanmoins, Marcus
Rediker inscrit pertinemment la piraterie dans la lutte des classes. Ce sont
des prolétaires qui s’organisent contre les navires marchands et les Etats. Ils
inventent de nouvelles formes d’organisation et attaquent directement l’ordre
existant. Leurs actions s’apparentent à du sabotage et la répression qu’ils
subissent montre leur rôle contre le développement du commerce maritime.
Surtout, les pirates ne cherchent pas à s’enrichir, mais veulent vivre pleinement,
dans le plaisir et la liberté.
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