Les 10 mots de la ville Par Chloé Rébillard Hors-série Sciences
Humaines : Quelles villes pour demain ? février-mars 2020
◊ Anthropocène
Que verront les géologues du futur qui tomberont sur la couche sédimentaire
laissée par la mégapole parisienne ? Que restera-t-il de la tour Eiffel,
de la Défense et de la pollution de la Seine ? Selon les géologues, bien
actuels ceux-ci, nous sommes entrés dans une nouvelle ère dans laquelle
l’espèce humaine a pris le pas sur toutes les autres forces géophysiques,
venant ainsi bouleverser les équilibres naturels, en particulier le climat, et
qui laissera une trace indélébile dans les couches sédimentaires du futur, au
même titre que l’Ordovicien ou le Jurassique. La date qui a été retenue afin de
marquer le début de l’ère dominée par Homo sapiens est celle de
l’invention de la machine à vapeur en 1784. Depuis lors, l’homme a dépassé les
frontières écologiques ouvrant la voie à une ère inédite. L’Anthropocène
remplace ainsi l’Holocène dans l’ordre de succession des temps géologiques. Si
le terme Anthropocène est le plus largement répandu, il n’échappe pas à la
concurrence : certains chercheurs proposent le terme de Molysmocène (ou
âge de la pollution), quand d’autres avancent avec humour celui de Poubellien
supérieur.
◊ Bilan carbone
Des cheminées industrielles rejetant une noire fumée dans le ciel aux
voitures bloquant le périphérique aux heures de pointe, la ville génère une
grande partie des émissions de gaz à effet de serre. Pour calculer le niveau
d’émission, le bilan carbone est un outil d’étude sur la vulnérabilité d’une
activité économique ou d’une collectivité, en particulier sur son niveau de
dépendance aux énergies fossiles, dont les prix sont en hausse constante depuis
plusieurs années. Depuis 2012, la loi Grenelle II a rendu obligatoire le calcul
du bilan des émissions de gaz à effet de serre pour les grandes entreprises et
collectivités. Le bilan carbone est l’une des variantes qui entre dans le
calcul. Avant cette loi, il servait avant toute chose à alimenter en
informations les systèmes d’échange de type Bourse du carbone. Désormais, il
permet également de proposer des solutions de réduction de la consommation
d’énergie, et d’optimiser la fiscalité environnementale.
◊ Densité
Pour vivre mieux, vivons serrés ? L’idée répandue selon laquelle une
forte densité de population en ville permet de gagner en durabilité en limitant
le recours aux modes de transport individuel, en réduisant la consommation
d’énergie, ou encore en diminuant les prix de l’immobilier est à nuancer.
Effectivement, une forte densité a des effets positifs sur l’environnement mais
peut aussi avoir des conséquences plus perverses : à force d’entendre les
cris d’un voisin de palier braillard à travers des murs fins comme du papier de
cigarette, la tentation peut être grande d’aller se mettre au vert pendant les
week-ends. Or, cela entraîne des déplacements pendulaires (allers-retours entre
l’espace urbain et ses à-côtés) importants, nocifs pour l’environnement. Autre
effet indésirable, certains s’éloignent de la ville pour vivre dans un milieu
plus aéré. La faible attirance des populations pour un milieu densément peuplé
est donc à prendre en compte afin de parvenir à une densité intermédiaire, à la
fois respectueuse de l’environnement mais aussi des populations, ce qui
engagerait ainsi un vrai processus de développement durable.
◊ Gentrification
Il y a quelques années, l’installation d’une brasserie bourgeoise au cœur
du quartier de Barbès, à Paris, zone populaire par excellence, en avait fait
rugir plus d’un. Et ce n’est pas contre la brasserie elle-même, qui n’avait pas
de quoi scandaliser avec un décor très parisien et un menu on ne peut plus
classique, mais contre le processus de gentrification dont elle est devenue le
symbole que les voix se sont élevées. Elle est devenue le totem de ce processus
social d’embourgeoisement qui transforme des quartiers anciennement mixtes
socialement en quartiers habités par des classes moyennes ou supérieures.
Rénovation des bâtiments, élévation du prix de l’immobilier, arrivée de
nouveaux commerces plus en phase avec la population, etc., les conséquences de
la gentrification sur la physionomie de la ville sont importantes. Quant à la
brasserie de Barbès, elle dresse toujours sa proue bourgeoise au cœur d’une
marée populaire, prouvant que les protestations de façade n’ont pour l’instant
que peu d’impact sur le déroulement du processus.
◊ Lenteur en ville
En Italie est né un principe urbain qui fait l’éloge de la lenteur. Au lieu
de courir après la rentabilité, l’efficacité et la croissance, ce mouvement
propose de se promener au travers des espaces de vie offerts par la ville et
d’en créer de nouveaux. Réfléchir, échanger avec les autres et profiter des
lieux sont au cœur de la démarche. Si toutes les villes n’en font pas un
principe fondamental, l’« urgence de ralentir » a gagné du terrain
dans les esprits et les expériences originales d’il y a dix ans ont semé des
idées dans d’autres lieux. Concrètement, la ville lente se caractériserait par
une promotion de technologies écologiques, la rénovation de bâtiments déjà
existants, plutôt que la construction de nouveaux, la multiplication des zones
piétonnes afin d’encourager la mobilité lente, etc. Résolument ancré dans
l’idée de décroissance économique, le mouvement des villes lentes a pour
objectif principal le mieux-être des habitants.
◊ Périurbain
La notion de périurbain regroupe des réalités hétérogènes. Elle désigne les
espaces discontinus situés en périphérie des grandes villes et ayant un lien
avec l’agglomération.
Si certains à son évocation imaginent des pavillons avec jardin en
lotissements, symboles de la classe moyenne, d’autres verront plutôt des
maisons de campagne isolées. Le périurbain souffre d’une mauvaise réputation,
notamment en matière environnementale, puisqu’il serait à l’origine de la
consommation d’énergie importante et favoriserait l’étalement urbain.
Autre préjugé à son égard, il concentrerait des foyers plus pauvres,
n’ayant pas les moyens de vivre en ville. Si sa mauvaise réputation n’est pas
totalement imméritée en ce qui concerne l’environnement, le périurbain attire
surtout des membres de la classe moyenne, et le taux de pauvreté y est
nettement moins élevé que dans les grands pôles urbains.
◊ Smart city
Le terme « smart city » traduit par « ville
intelligente » en français, est un peu à la ville ce que le smartphone est
au téléphone portable : une ville qui n’est plus seulement un lieu de vie
et qui se voit augmentée par les réseaux de l’ère numérique. Il ne s’agit pas
d’une ville à proprement parler intelligente, mais d’une ville intelligemment
peuplée par ses élus, ses habitants, ses collectivités et ses entreprises. Le
moyen d’y parvenir ? Optimiser les informations et les circulations
urbaines grâce aux évolutions apportées par l’ère numérique. La révolution de
la donnée (ou data) ne transformera certainement pas la ville autant que
l’électricité l’a fait, mais elle permet néanmoins d’innover dans les relations
entre habitants et agglomérations. Elle apporte également son lot de problèmes
en termes de sécurité, les plus pessimistes allant jusqu’à prédire à la ville
de demain un avenir sous l’œil de Big Brother, façon 1984 de Georges
Orwell.
◊ Transition (ville en)
Quelles villes sont en transition ? Faire du développement durable par
petites touches, est-ce être en transition ? En France, quelques dizaines
de villes ont véritablement entamé un tel processus, comme c’est le cas à
Grenoble ou encore dans le 7e arrondissement de Lyon. Il s’agit
d’appréhender le pic pétrolier, la crise financière et le changement climatique
comme des opportunités pour changer radicalement de mode de vie. Les crises
seraient le moment de tout transformer afin de construire des villes en
capacité de réagir seules, que l’on appelle désormais « villes en
résilience ». Pour parvenir à cet objectif, divers moyens sont mis en
place : monnaies locales, relocalisation des activités, décroissance
volontaire etc. Les projets ne sont pas mis sur les épaules des comportements
individuels ni des politiques publiques, ils sont avant tout menés par la
société civile, par les habitants. Les initiatives ne sont pas uniquement
écologiques, même si l’un des objectifs premiers reste de combattre la
dépendance au pétrole. Les rencontres culturelles, la lutte contre l’exclusion
sociale ou le développement d’un lien intergénérationnel sont aussi au menu des
villes en transition.
◊ Transition énergétique
Un parc éolien plutôt qu’une centrale à charbon, l’idée paraît aujourd’hui
plutôt évidente à une majorité de personnes : elle vient de la transition
énergétique. Cette dernière a pour objectif de diminuer les gaz à effet de
serre dans le contexte actuel de réchauffement climatique. Pour cela, diverses
solutions sont mises en œuvre, du stockage des émissions de carbone jusqu’au
recours aux énergies renouvelables, en passant par l’efficacité énergétique
(lutte contre le gaspillage, isolation des habitats, etc.). Le défaut majeur de
la transition énergétique est la destruction d’emplois qu’elle entraîne dans
certains secteurs, comme le nucléaire ou l’industrie pétrolière. Néanmoins, les
créations d’emplois dans de nouveaux secteurs compensent cet effet indésirable.
Afin de respecter le volet social du développement durable, il faut également
veiller à ce que la transition énergétique reste accessible au plus grand
nombre, et ne devienne pas un facteur excluant des populations les plus
pauvres.
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