lundi 27 avril 2020

DECOUVRIR Le Paradis, roman d’Hervé Guibert (1955-1991)


Extrait :

« - Sans doute, dit Jayne, mais c’est un rêve d’enfant, et un rêve d’enfant ça ne se discute pas... C’était la nuit, j’étais sur la terrasse avec mes parents et mes frères, on avait fini le dîner, il y avait des bougies sur la table, et puis soudain Irwin, un ami de mes parents, est passé en coup de vent, la première chose qu’il a dite c’est : ‘Je reviens de Bora Bora, c’est le Paradis.’ Moi, petite fille, je trouvais cet Irwin très beau, une sorte d’aventurier. Et le mot Paradis a claqué comme une chose fabuleuse. Ce n’était pas lié à la religion, parce que nos parents ne nous avaient pas donné d’éducation de ce côté-là, et pour moi le Paradis n’était pas moins chinois que l’enfer, je ne connaissais rien de ces mythes, mais d’un seul coup, passant par la bouche d’Irwin, le Paradis devenait le fin du fin, le rêve absolu, le sommet, le Paradis quoi, et moi le Paradis je veux connaître. »

Hervé Guibert, Le Paradis, Paris, Gallimard, 1992, p.49.





 Hervé Guibert écrivait comme un garnement fait des pieds de nez. Le Paradis, son dernier roman, paraît un an après sa mort et semble un diable sorti de sa boîte. Et ce paradis espéré, c’est d’abord l’enfer. Le narrateur voyage avec Jayne Heinz. Cette ex-championne de natation, arrière-arrière petite fille de l’inventeur du ketchup, rédige une thèse sur Strindberg, Nietzsche et Artaud. Au début du roman, elle meurt éventrée sur une barrière de corail, au large de la Martinique. Le narrateur raconte alors leur vie commune, leur séjour au Mali, puis à Bora-Bora, enfin à la Martinique.





Philippe Besson, par email, le 9 octobre 2006 :


En quoi la lecture des textes d'Hervé Guibert, que vous citez dans certains de vos livres ou évoquez dans des entretiens ou articles, a-t-elle une influence dans votre propre travail d'écriture ?  

Guibert a beaucoup écrit sur le corps, sur le rapport du corps à l'amour et à la mort. De ce point de vue, son écriture m'influence. Je cherche à comprendre ce que lui avait compris : ce qu'est un corps dans la sensualité, et ce qu'est un corps qui va devenir un cadavre. Guibert a aussi beaucoup évoqué la perte de l'être cher, la morsure du manque. C'est une thématique qui m'obsède.


 Hervé Guibert déclarait avoir ce qu'il appelait des "frères d'écriture" dont le travail "irradiait ... comme une transfusion" ses propres textes... Le considérez-vous, à votre tour, comme "un frère d'écriture" ? 

On ne se décrète pas des frères, à moins que l'autre ne soit d'accord. Je me sens une intimité avec lui. J'ignore s'il se serait senti une intimité avec moi. Sans doute que non. Je ne suis pas assez transgressif, je suis trop sage.


 Texte de Marie Darrieussecq paru dans la revue Senso n°29, hiver 2007 :


J'aurais voulu connaître Hervé Guibert. Ou plutôt : j'aurais juste aimé le croiser. Boire un verre à quelques tables de lui. Le voir chez des amis communs, l'écouter parler. Il m'aurait sans doute intimidée. Il m’aurait sans doute agacée, aussi. Les gens qui l’aiment disent de lui, affectueusement, qu’il était méchant. J’imagine ce genre de méchanceté à la française, celle des mots d’esprit, celle du politiquement incorrect, celle qui déteste la pitié, la charité. Celle qui préfère l’amitié dure, l’absence de pardon, la haine des concessions, la trahison à la Genet, l’ivresse de la mise à l’épreuve. Je l’imagine comme ça, Guibert. « Il faut que les secrets circulent » écrivait-il. Ce n’est pas ma vision de l’amitié. Ce n’est pas exactement ma conception de l’écriture. Mais je vois ce qu’il veut dire. De l’air. De la clarté ravageante. Tout dire. L’horreur des familles cloîtrées, du sexe rance, des petites hontes. Guibert était dans la beauté, dans la dureté étincelante. Dans la blancheur sèche. Dans le vif du désir. Oui, j’aurais aimé le croiser. Il me faisait un peu peur. Et je regrette ça, ce qui n’a pas été, que ça soit impossible, depuis quinze ans qu’il est mort. Le Paradis, son dernier livre, est un chef d’œuvre. Je le relis la gorge serrée. Un livre rapide, urgent, sans transitions, et pourtant délicat, subtil, nuancé, amoureux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire