Extrait :
« - Sans doute, dit Jayne, mais c’est un rêve d’enfant, et un rêve d’enfant ça ne se discute pas... C’était la nuit, j’étais sur la terrasse avec mes parents et mes frères, on avait fini le dîner, il y avait des bougies sur la table, et puis soudain Irwin, un ami de mes parents, est passé en coup de vent, la première chose qu’il a dite c’est : ‘Je reviens de Bora Bora, c’est le Paradis.’ Moi, petite fille, je trouvais cet Irwin très beau, une sorte d’aventurier. Et le mot Paradis a claqué comme une chose fabuleuse. Ce n’était pas lié à la religion, parce que nos parents ne nous avaient pas donné d’éducation de ce côté-là, et pour moi le Paradis n’était pas moins chinois que l’enfer, je ne connaissais rien de ces mythes, mais d’un seul coup, passant par la bouche d’Irwin, le Paradis devenait le fin du fin, le rêve absolu, le sommet, le Paradis quoi, et moi le Paradis je veux connaître. »
Hervé Guibert, Le Paradis, Paris, Gallimard, 1992, p.49.
« - Sans doute, dit Jayne, mais c’est un rêve d’enfant, et un rêve d’enfant ça ne se discute pas... C’était la nuit, j’étais sur la terrasse avec mes parents et mes frères, on avait fini le dîner, il y avait des bougies sur la table, et puis soudain Irwin, un ami de mes parents, est passé en coup de vent, la première chose qu’il a dite c’est : ‘Je reviens de Bora Bora, c’est le Paradis.’ Moi, petite fille, je trouvais cet Irwin très beau, une sorte d’aventurier. Et le mot Paradis a claqué comme une chose fabuleuse. Ce n’était pas lié à la religion, parce que nos parents ne nous avaient pas donné d’éducation de ce côté-là, et pour moi le Paradis n’était pas moins chinois que l’enfer, je ne connaissais rien de ces mythes, mais d’un seul coup, passant par la bouche d’Irwin, le Paradis devenait le fin du fin, le rêve absolu, le sommet, le Paradis quoi, et moi le Paradis je veux connaître. »
Hervé Guibert, Le Paradis, Paris, Gallimard, 1992, p.49.
Hervé Guibert écrivait comme un
garnement fait des pieds de nez. Le Paradis, son dernier roman, paraît
un an après sa mort et semble un diable sorti de sa boîte. Et ce paradis
espéré, c’est d’abord l’enfer. Le narrateur voyage avec Jayne Heinz. Cette
ex-championne de natation, arrière-arrière petite fille de l’inventeur du
ketchup, rédige une thèse sur Strindberg, Nietzsche et Artaud. Au début du
roman, elle meurt éventrée sur une barrière de corail, au large de la Martinique.
Le narrateur raconte alors leur vie commune, leur séjour au Mali, puis à
Bora-Bora, enfin à la Martinique.
Philippe Besson, par email, le 9 octobre 2006 :
En quoi la lecture des textes d'Hervé Guibert, que vous citez dans
certains de vos livres ou évoquez dans des entretiens ou articles, a-t-elle une
influence dans votre propre travail d'écriture ?
Guibert
a beaucoup écrit sur le corps, sur le rapport du corps à l'amour et à la
mort. De ce point de vue, son écriture m'influence. Je cherche à comprendre
ce que lui avait compris : ce qu'est un corps dans la sensualité, et ce
qu'est un corps qui va devenir un cadavre. Guibert a aussi beaucoup évoqué la
perte de l'être cher, la morsure du manque. C'est une thématique qui m'obsède.
Hervé
Guibert déclarait avoir ce qu'il appelait des "frères d'écriture"
dont le travail "irradiait ... comme une transfusion" ses propres
textes... Le considérez-vous, à votre tour, comme "un frère
d'écriture" ?
On ne se décrète pas des frères, à moins que l'autre ne
soit d'accord. Je me sens une intimité avec lui. J'ignore s'il se serait senti
une intimité avec moi. Sans doute que non. Je ne suis pas assez transgressif,
je suis trop sage.
Texte de Marie
Darrieussecq paru dans la revue Senso n°29, hiver 2007 :
J'aurais voulu connaître Hervé
Guibert. Ou plutôt : j'aurais juste aimé le croiser. Boire un verre à quelques
tables de lui. Le voir chez des amis communs, l'écouter parler. Il m'aurait
sans doute intimidée. Il m’aurait sans doute agacée, aussi. Les gens qui
l’aiment disent de lui, affectueusement, qu’il était méchant. J’imagine ce
genre de méchanceté à la française, celle des mots d’esprit, celle du
politiquement incorrect, celle qui déteste la pitié, la charité. Celle qui
préfère l’amitié dure, l’absence de pardon, la haine des concessions, la
trahison à la Genet, l’ivresse de la mise à l’épreuve. Je l’imagine comme ça,
Guibert. « Il faut que les secrets circulent » écrivait-il. Ce n’est pas ma
vision de l’amitié. Ce n’est pas exactement ma conception de l’écriture. Mais
je vois ce qu’il veut dire. De l’air. De la clarté ravageante. Tout dire.
L’horreur des familles cloîtrées, du sexe rance, des petites hontes. Guibert
était dans la beauté, dans la dureté étincelante. Dans la blancheur sèche. Dans
le vif du désir. Oui, j’aurais aimé le croiser. Il me faisait un peu peur. Et
je regrette ça, ce qui n’a pas été, que ça soit impossible, depuis quinze ans
qu’il est mort. Le Paradis, son dernier livre, est un chef d’œuvre. Je le relis
la gorge serrée. Un livre rapide, urgent, sans transitions, et pourtant
délicat, subtil, nuancé, amoureux.
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