La solitude ? C’était mieux avant...
Le mot « solitude », selon le Dictionnaire
historique de la langue française, vient du latin solitudo :
lieu désert, vie isolée, état d'abandon-absence-manque. À en croire son
étymologie, la solitude n’aurait donc rien de bien réjouissant. Et
pourtant, ce terme n’a pas toujours été connoté négativement, nous apprend
la Britannique Fay Bound Alberti dans A Biography of Loneliness. En
tant qu’historienne culturelle, Bound Alberti voit les émotions plutôt
comme des constructions sociales que comme des manifestations biologiques.
Elle soutient que « la solitude n’est pas tant un sentiment individuel
que le produit d’une époque et d’un lieu spécifiques », note la
philosophe Jane O'Grady dans la Literary Review.
Et en l’occurrence, un produit relativement récent : la solitude, en tant
qu’émotion négative, daterait de la toute fin du XVIIIe siècle, affirme Fay
Bound Alberti.
Autrefois, la solitude était recherchée, on y
voyait le moyen d’approfondir sa connaissance de soi et de cultiver son
jardin intérieur, rappelle l’auteure. Ajoutons que jusqu’au siècle des Lumières, avant
le déclin de la croyance religieuse, la solitude absolue n’existait pour
ainsi dire pas : chacun pouvait, en permanence, jouir de la compagnie de
Dieu. Ce n’est qu’après la révolution industrielle et l’avènement de
l’individu moderne que la solitude, désormais associée à un sentiment
d’abandon, a pris une connotation négative.
Mais la solitude, vécue comme une souffrance dont
de plus en plus de nos contemporains se plaignent, est largement le
résultat de décisions politiques, estime l’historienne. Et elle ne fait pas
référence aux mesures de confinement imposées actuellement dans presque
tous les pays du globe, mais bien aux effets pervers de l’idéologie
capitaliste : « Bound Alberti a raison de politiser la solitude,
contrairement aux neuroscientifiques qui se tirent la bourre pour
développer une pilule supposée la guérir. On ne peut pas séparer le sentiment
d’être déconnecté et inutile de l’histoire de l’individualisme possessif
[…]. Si, comme elle le souligne, “il y a très peu d’endroits où l’on peut
se rencontrer, au XXIe siècle, sans avoir à payer pour jouir d’un tel
privilège”, c’est en grande partie parce que ces lieux n’ont que peu
d’intérêt au regard du sacro-saint néolibéralisme », analyse
l’intellectuel britannique Terry Eagleton dans le quotidien The Guardian.
Pauline Toulet
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