Depuis quelques jours, avec le BIEF (Bureau International de l’Edition
Française), nous essayons de prendre le pouls des librairies dans le monde.
Carnets d’Asie, la librairie francophone au cœur de Bangkok
Parmi la quarantaine de pays sur lesquels nous avons obtenu des informations, plus de deux tiers des librairies ont dû « fermer boutique ». Et aucun continent n’est épargné comme le montre la liste des 30 pays concernés par ces fermetures (Algérie, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Burkina Faso, Chili, Chine, Chypre, EAU, Egypte, Espagne, France, Guyane, Haïti, Hongrie, Israël, Italie, La Réunion, Liban, Maroc, Madagascar, Mauritanie, Portugal, Royaume-Uni, Roumanie, Rwanda, Syrie, Thaïlande, Tunisie, USA)... Et la liste n’est pas exhaustive et s’allonge chaque jour un peu plus.... Les raisons invoquées sont multiples : recommandations du gouvernement, frontières fermées, commandes bloquées à la frontière, impossibilité de se rendre sur le lieu de travail et d’envoyer des commandes, interruption de la chaine d’approvisionnement en France, simple mesure de précaution ou tout simplement respect pour l’ensemble des acteurs de la chaine du livre et les lecteurs pour ne pas les mettre en danger.
La seconde partie de l’échantillon concerne 10 pays (Allemagne, Bénin,
Costa Rica, Côte d’Ivoire, Hong Kong, Niger, Pays-Bas, Taïwan, Sénégal,
Singapour). Les librairies restent ouvertes en respectant les précautions
d’usage mais en payent un lourd tribut car l’activité est en baisse, les
librairies désertes, les charges bien plus importantes que les recettes, et
bien évidemment sans aucune commande institutionnelle des établissements
français à l’étranger, fermés pour la plupart, comme l’indique le directeur de
la librairie française du Costa Rica, Ramon Mena.
Mais partout dans le monde, les témoignages se multiplient exprimant
l’angoisse du lendemain, que les librairies soient ouvertes et vides, ou
fermées. Les soucis de trésorerie mettent tous les libraires au même niveau.
En Europe, continent très touché par le Covid 19, sur les 10 pays
concernés, seuls 3 ont encore des librairies ouvertes, mais pour combien de
temps ? C’est une inquiétude commune qu’expriment les libraires. L’absence de
recettes va les empêcher de faire face aux paiements prévus et convenus avec les
distributeurs. Selon les pays, les périodes de confinement sont plus ou moins
grandes, mais la prolongation du confinement s’annonce déjà pour plusieurs
semaines. De la même manière, la proposition de fractionnement des paiements
est impossible sans date de réouverture et sans savoir si le pouvoir d’achat
des clients sera suffisant pour l’achat de livres, beaucoup de personnes étant
aussi confrontées au salaire minimal, et au chômage dans le meilleur des cas,
explique Montse Porta de la librairie Jaimes à Barcelone. Un collectif de
libraires membres de l’AILF s’organise donc pour appuyer des revendications
communes concernant les fournisseurs, la Coface, les pouvoirs publics et
l’ensemble de leurs partenaires.
Tout aussi inquiétante est la gestion de cette crise sanitaire dans
certains pays d’Afrique subsaharienne, compte tenu de l’état des
infrastructures de santé et les zones de conflits de nombreux pays. Le suivi de
la pandémie devrait y être plus difficile compte-tenu des insuffisances des
systèmes de surveillance épidémiologique. Loubna Fawaz de la librairie Vents du
Sud en Mauritanie nous rapportait au début de la crise que « tous les passagers
venant des pays touchés sont mis en quarantaine pendant 15 jours. Toutefois, il
semble que les pays ne sont pas tous en mesure de l’appliquer. Les mois à venir
s’avèrent très difficiles pour les libraires africains car les Etats n'ont pas
les moyens suffisants pour faire face à la pandémie et encore moins pour aider
les librairies et les commerces en général ». Actuellement pour l’Afrique
Subsaharienne, sur les 7 pays consultés (Mauritanie, Sénégal, Niger, Bénin,
Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Rwanda), seules deux librairies ont fermé car
c’est le dernier continent à avoir été touché par cette pandémie. Toutefois, de
plus en plus sont soumis à l’état d’urgence comme au Sénégal et en Côte
d’Ivoire, ce qui va impacter fortement l’ouverture des magasins. Les autres
maintiennent leur activité mais dans des conditions extrêmement éprouvantes
financièrement. Au Sénégal, la librairie Clairafrique nous explique le 25 mars
2020 que « les réductions d’horaires liées à la fréquentation des points de
vente depuis le 16 mars ont fait chuter leur CA alors qu’ils savent déjà que
l'état d'urgence de 3 mois déclaré par le Président de la République, va les
contraindre à fermer ». L’inquiétude s’en ressent aussi au Bénin comme en
témoigne Prudentienne Houngnibo de la librairie Notre Dame le 20 mars 2020. «
Cette semaine nous avons atteint un niveau inquiétant de notre CA journalier et
le nombre de clients a drastiquement diminué. Depuis 55 ans d'existence de la
librairie Notre Dame, nous n'avons jamais eu un si faible nombre de clients.
Les mesures décrétées par le gouvernement nous préparent au confinement et nous
réduirons les horaires dès le 25 mars». Dernière fermeture en date, la
librairie Ikirezi à Kigali au Rwanda survenue le 27 mars dernier. Au 1er avril,
c'est au Burkina Faso que la librairie Mercury ferme après 15 jours sans aucun
client en librairie témoigne Thierry Milogo, son directeur.
Autres continents ou zones géographiques extrêmement touchés, l’Océan
Indien et l’Asie, où sur les six pays ou régions représentés (La Réunion,
Australie, Thaïlande, Singapour, Hong Kong, Madagascar, Chine), quatre ont
fermé leurs librairies. Mais pour celles qui restent ouvertes, comme
Parenthèses à Hong Kong, le choix est cornélien, après les manifestations de
2019 ajoutées aux cas de Covid 19. « La librairie reste ouverte pour une
question de survie car les loyers et salaires sont dus à chaque fin de mois ».
Leurs préoccupations concernent aussi les commandes scolaires qui ne pourront
être servies. Quant à Madagascar, après avoir constaté un manque de
transparence sur le nombre de cas et de mesures à suivre, Voahirana
Ramanlajoana, de la librairie Millefeuilles, a décidé le 23 mars, au lendemain
de la déclaration du président malgache, de fermer sa librairie. Mais l’espoir
renait peut-être à la lecture du message envoyé de Chine par Yohan Radomski, de
l’Arbre du voyageur à Shanghai, le 30 mars. « Une des toutes premières
librairies francophones fermées pour cause de COVID-19, depuis la mi-janvier
vient d’ouvrir un service de vente à distance mais ne pouvant porter que sur
les livres en stock ».
Dans le monde arabe, parmi les 8 pays (Tunisie, Algérie, Maroc,
Égypte, Liban, Emirats arabes unis, Syrie, Israël), toutes les librairies ont
fermé. C’est toutefois souvent contraintes qu’elles ont dû le faire, comme
l’évoque Michel Choueiri à Dubaï qui a fermé sa librairie le 25mars, décision
qu’il a prise voyant que les lieux publics fermaient et que le nombre de
contaminations augmentait. Pour la librairie Vice Versa de Jérusalem, Nathalie
Hirschsprung témoigne ; « Après avoir fait un peu de résistance en restant
ouverts au public, le temps de s’organiser pour les commandes à distance et les
livraisons, la fermeture au public s’est faite le 18 mars. Même si nous
proposons une livraison sans contact, masque et gants pour notre livreur, les
clients frappent ou sonnent et laissent le petit paquet devant la porte, puis
s’en vont, la panique ambiante est très palpable. »
Enfin, Outre Atlantique, sur les 7 pays de notre échantillon
(Argentine, Brésil, Chili, Costa Rica, Guyane, Haïti, USA), seule une librairie
est restée ouverte au Costa Rica (avec des horaires aménagés) et toutes, de
manière unanime comme dans tous les autres continents d’ailleurs, cherchent à
garder le contact avec leur clientèle en proposant des services à distance tout
en sachant bien que cela ne compensera jamais les pertes du CA. Pour Maryline
Noel de la librairie Le Comptoir au Chili « la librairie est fermée mais
travaille à distance pour traiter des commandes et poster des coups de cœur
autour des ouvrages en stock qui peuvent être réservés. Il est possible ensuite
de convenir d’un jour pour les retraits des commandes, en respectant les
restrictions sanitaires. Toutefois, malgré ces mesures, personne n'est trop
réactif, sauf des encouragements et des like ».
Dans ce contexte quasi lunaire, les libraires ouvertes s’ingénient donc à
trouver un système de livraison (la Librairie de France à Abidjan l’indique
clairement sur son site). Le tout avec les précautions sanitaires mais cela
pose quantité d’autres problèmes comme les risques de contaminations pour les
personnes en charge des livraisons. Ces dispositions ne sont donc que
transitoires, ainsi que l’indique sur son Facebook, la librairie Latitudes à
Budapest. Mais même fermées, les librairies sont actives sur les réseaux
sociaux et gardent le contact avec leurs lecteurs en proposant, aux quatre
coins du monde, des alternatives (podcast, sélection coups de cœur, livres
numériques, albums filmés), sans trop attendre des rentrées d’argent
substantielles dans l’immédiat.
En somme, c’est l’ensemble du réseau qui est en sommeil, on l’espère juste pour
un temps pas trop long dont on ne sait quand il finira, ni comment les
librairies s’en relèveront. Mais plus le temps passe, plus les frais sont
conséquents et les libraires aux abois.
L’AILF (Association Internationale des Libraires Francophones) et
l’ensemble des libraires appellent à la solidarité professionnelle et demandent
des mesures exceptionnelles d’accompagnement auprès des fournisseurs pour un
report d’échéances jusqu’à ce que des dispositions aient été prises, auprès de
la Centrale de l’Edition pour rallonger les délais avant que n’intervienne la
menace d’une révocation de la garantie Coface, du CNL pour des mesures
exceptionnelles pour aider à payer les factures déjà émises, du SLF pour que la
librairie francophone soit incluse dans leurs revendications, auprès du BIEF,
partenaire de toujours pour sensibiliser leurs éditeurs adhérents à la
situation de la librairie francophone et sensibiliser le réseau des ambassades
et Instituts pour effectuer leurs achats de livres auprès des librairies dès
que tout sera rentré dans l’ordre.
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