Droit des animaux, histoire du véganisme…
L’université s’empare de la cause animale Par Eléa Pommiers
Le Monde 08 avril 2020
Face à un intérêt social croissant, plusieurs universités françaises
créent, depuis 2015, des diplômes en sciences humaines et sociales consacrés à
la place de l’animal dans la société.
Tout a commencé avec cette spécialisation
en éthique animale, proposée par l’université de Strasbourg,
en 2015. Suivie par ce diplôme universitaire (DU) en droit animalier de
l’université de Limoges et par celui en droit des animaux de l’université de
Toulon. En septembre 2019, c’est le DU « animaux et société » de
l’université Rennes-II qui a fait parler de lui. Tous témoignent d’une même
tendance : l’animal n’est plus l’objet des seuls cours de sciences. Il
fait désormais l’objet d’enseignements et de formations en sciences humaines et
sociales. Et ce n’est qu’un début.
Indices visibles
« L’université tire les conséquences de la montée en puissance de
questions relatives aux animaux dans la société », estime Olivier
Le Bot, responsable du certificat universitaire en droit de l’animal qui
ouvrira en juin à l’université d’Aix-Marseille. La montée du véganisme, de
l’antispécisme ou de l’animalisme en politique constituent autant d’indices
visibles d’un intérêt et d’un engagement croissants pour la cause animale. « Il s’agit de prendre de la hauteur
sur une question souvent très clivante », explique Emilie Dardenne,
responsable pédagogique du diplôme de Rennes-II, le premier DU de sciences
sociales consacré aux animaux en France. Les étudiants, tous en formation
continue, y font de la sociologie du rapport à l’animal, du droit, de la
géographie, y réfléchissent sur le véganisme et la « transition
alimentaire ». « On savait qu’il y avait une demande pour la
création de formations qui puissent apporter des connaissances larges sur le
sujet », précise Emilie Dardenne. Elle a reçu
trente-huit candidatures de toute la France pour vingt places, de la
part d’enseignants, de membres d’associations ou encore de juristes, très majoritairement
déjà sensibilisés à la cause animale. Certains sont là par intérêt
intellectuel, mais pas tous.
Nouveau statut de l’animal
« Des professions se créent autour de ce sujet : on voit
apparaître des postes consacrés à la condition animale dans les mairies, par
exemple », assure Aude, 42 ans, salariée dans la communication. Sensible au
bien-être animal, elle a intégré le DU de Rennes pour « acquérir des
savoirs » sur le sujet, mais elle n’exclut pas une reconversion
professionnelle dans le secteur de la protection animale. Car le besoin de personnes ayant des
connaissances spécifiques s’accroît, notamment dans les associations et
collectivités locales, a constaté Cédric Sueur, cofondateur de la
spécialisation de Strasbourg. « Nous avions vu qu’il existait de plus
en plus d’offres d’emploi qui demandaient de connaître l’animal, d’avoir des
notions de biologie et de droit, et aucune formation spécifique. C’était
important que l’université puisse proposer des formations sur un sujet qui crée
beaucoup de confusion. »
Les étudiants qui obtiennent la spécialisation dans le cadre d’un master
suivent des cours d’éthologie, d’économie, de droit ou de philosophie, et
peuvent ensuite intégrer des ONG ou un site de la SPA. Les DU en droit
reflètent également cet intérêt croissant pour la question animale, notamment
depuis 2015 et l’insertion dans le code civil d’un nouveau statut de
l’animal comme « être vivant doué de sensibilité ». A Limoges, le
diplôme, ouvert en 2016, doit organiser deux sessions par an pour faire
face à l’afflux de demandes, selon la responsable, Séverine Nadaud. Quelques
étudiants de master y côtoient avocats, magistrats, juristes, agents de
collectivité territoriale et des « professionnels de la protection
animale, comme les vétérinaires ».
« Les affaires concernant la cause animale portées devant les
tribunaux augmentent, mais nous ne sommes que peu formés », explique Séverine
Dauzon, avocate et diplômée du DU de Toulon. Au-delà de notions d’histoire et
de philosophie, elle y a « surtout appris à maîtriser des outils de
droit » qu’elle peut « actionner au tribunal, pour avoir une
incidence très concrète sur la condition des animaux ».
Rapports entre humains et animaux
Ces DU sont aussi un terreau de réflexions sur l’évolution du droit. « Malgré
l’avancée de 2015, l’animal reste soumis au régime des biens meubles, là où
nous plaidons pour qu’il soit doté d’une personnalité juridique,
expliquent Cédric Riot et Caroline Regad, qui dirigent le DU de Toulon. C’est
aussi grâce à un droit plus cohérent que la question avancera et, pour cela,
les connaissances doivent se diffuser. » Ces formations, bien qu’encore rares,
témoignent de l’implantation en France d’un courant académique
anglo-saxon : les animal studies. Cette communauté de recherche
au croisement des sciences de la nature, des sciences sociales et des
humanités, consacrée aux rapports entre humains et animaux, s’est surtout
constituée à partir des années 1980, explique Jérôme Michalon, chargé de
recherches au CNRS. Une cinquantaine
d’universités américaines proposent des cours relatifs à la
condition animale, mais « il aurait été difficile, il y a encore peu,
d’imaginer parler de véganisme et d’antispécisme à l’université
française », poursuit le chercheur. Ces travaux n’ont gagné en
visibilité et en crédibilité dans l’Hexagone que dans les années 2010. Depuis, « on
constate un véritable mouvement d’académisation ».
Procès en militantisme
Lequel ne se fait pas sans heurts, notamment en raison d’un procès
récurrent en militantisme. C’est notamment le cas à Rennes-II, où la présence
de membres d’associations animalistes dans le corps enseignant a provoqué l’ire
du député Les Républicains des Côtes-d’Armor, Marc Le Fur, et de
représentants de l’industrie agroalimentaire, qui ont fustigé une « idéologie » sous le
couvert d’une « accréditation universitaire ».
C’est aussi le sentiment de Pierre, 64 ans, qui s’est inscrit au DU « par
curiosité ». Il est l’un des deux étudiants issus de l’industrie
agroalimentaire : « Tous les aspects du rapport entre l’homme et
l’animal ne sont pas traités : l’agriculture et l’élevage ne sont jamais
présentés comme des richesses pour la Bretagne. Les étudiants et certains
enseignants semblent partager l’idée d’une nécessité d’abolir l’élevage, mais
ça n’est pas aussi simple ! » Cette porosité entre science et militantisme
est caractéristique des animal studies, aujourd’hui animées par « des
universitaires qui affirment une sensibilité vis-à-vis de la cause
animale », concède M. Michalon. Reste que « cette
communauté est à l’origine d’une importante production de connaissances
concernant la condition animale », précise-t-il. Aux critiques,
Emilie Dardenne répond que les militants « n’interviennent pas en tant
que tels, mais en tant que professionnels du droit et de l’éducation en éthique
animale ». Quant aux autres enseignants : « Nous
sommes universitaires. Notre objectif est de transmettre des savoirs, pas
de former des militants », assure-t-elle.
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