lundi 13 avril 2020

FOCUS : L’université tire les conséquences de la montée en puissance de questions relatives aux animaux dans la société



Droit des animaux, histoire du véganisme… L’université s’empare de la cause animale Par Eléa Pommiers Le Monde 08 avril 2020

Face à un intérêt social croissant, plusieurs universités françaises créent, depuis 2015, des diplômes en sciences humaines et sociales consacrés à la place de l’animal dans la société.

Tout a commencé avec cette spécialisation en éthique animale, proposée par l’université de Strasbourg, en 2015. Suivie par ce diplôme universitaire (DU) en droit animalier de l’université de Limoges et par celui en droit des animaux de l’université de Toulon. En septembre 2019, c’est le DU « animaux et société » de l’université Rennes-II qui a fait parler de lui. Tous témoignent d’une même tendance : l’animal n’est plus l’objet des seuls cours de sciences. Il fait désormais l’objet d’enseignements et de formations en sciences humaines et sociales. Et ce n’est qu’un début.

Indices visibles

« L’université tire les conséquences de la montée en puissance de questions relatives aux animaux dans la société », estime Olivier Le Bot, responsable du certificat universitaire en droit de l’animal qui ouvrira en juin à l’université d’Aix-Marseille. La montée du véganisme, de l’antispécisme ou de l’animalisme en politique constituent autant d’indices visibles d’un intérêt et d’un engagement croissants pour la cause animale.  « Il s’agit de prendre de la hauteur sur une question souvent très clivante », explique Emilie Dardenne, responsable pédagogique du diplôme de Rennes-II, le premier DU de sciences sociales consacré aux animaux en France. Les étudiants, tous en formation continue, y font de la sociologie du rapport à l’animal, du droit, de la géographie, y réfléchissent sur le véganisme et la « transition alimentaire ». « On savait qu’il y avait une demande pour la création de formations qui puissent apporter des connaissances larges sur le sujet », précise Emilie Dardenne. Elle a reçu trente-huit candidatures de toute la France pour vingt places, de la part d’enseignants, de membres d’associations ou encore de juristes, très majoritairement déjà sensibilisés à la cause animale. Certains sont là par intérêt intellectuel, mais pas tous.

Nouveau statut de l’animal

« Des professions se créent autour de ce sujet : on voit apparaître des postes consacrés à la condition animale dans les mairies, par exemple », assure Aude, 42 ans, salariée dans la communication. Sensible au bien-être animal, elle a intégré le DU de Rennes pour « acquérir des savoirs » sur le sujet, mais elle n’exclut pas une reconversion professionnelle dans le secteur de la protection animale.  Car le besoin de personnes ayant des connaissances spécifiques s’accroît, notamment dans les associations et collectivités locales, a constaté Cédric Sueur, cofondateur de la spécialisation de Strasbourg. « Nous avions vu qu’il existait de plus en plus d’offres d’emploi qui demandaient de connaître l’animal, d’avoir des notions de biologie et de droit, et aucune formation spécifique. C’était important que l’université puisse proposer des formations sur un sujet qui crée beaucoup de confusion. »

Les étudiants qui obtiennent la spécialisation dans le cadre d’un master suivent des cours d’éthologie, d’économie, de droit ou de philosophie, et peuvent ensuite intégrer des ONG ou un site de la SPA. Les DU en droit reflètent également cet intérêt croissant pour la question animale, notamment depuis 2015 et l’insertion dans le code civil d’un nouveau statut de l’animal comme « être vivant doué de sensibilité ». A Limoges, le diplôme, ouvert en 2016, doit organiser deux sessions par an pour faire face à l’afflux de demandes, selon la responsable, Séverine Nadaud. Quelques étudiants de master y côtoient avocats, magistrats, juristes, agents de collectivité territoriale et des « professionnels de la protection animale, comme les vétérinaires ».

« Les affaires concernant la cause animale portées devant les tribunaux augmentent, mais nous ne sommes que peu formés », explique Séverine Dauzon, avocate et diplômée du DU de Toulon. Au-delà de notions d’histoire et de philosophie, elle y a « surtout appris à maîtriser des outils de droit » qu’elle peut « actionner au tribunal, pour avoir une incidence très concrète sur la condition des animaux ».

Rapports entre humains et animaux

Ces DU sont aussi un terreau de réflexions sur l’évolution du droit. « Malgré l’avancée de 2015, l’animal reste soumis au régime des biens meubles, là où nous plaidons pour qu’il soit doté d’une personnalité juridique, expliquent Cédric Riot et Caroline Regad, qui dirigent le DU de Toulon. C’est aussi grâce à un droit plus cohérent que la question avancera et, pour cela, les connaissances doivent se diffuser. »  Ces formations, bien qu’encore rares, témoignent de l’implantation en France d’un courant académique anglo-saxon : les animal studies. Cette communauté de recherche au croisement des sciences de la nature, des sciences sociales et des humanités, consacrée aux rapports entre humains et animaux, s’est surtout constituée à partir des années 1980, explique Jérôme Michalon, chargé de recherches au CNRS. Une cinquantaine d’universités américaines proposent des cours relatifs à la condition animale, mais « il aurait été difficile, il y a encore peu, d’imaginer parler de véganisme et d’antispécisme à l’université française », poursuit le chercheur. Ces travaux n’ont gagné en visibilité et en crédibilité dans l’Hexagone que dans les années 2010. Depuis, « on constate un véritable mouvement d’académisation ».

Procès en militantisme

Lequel ne se fait pas sans heurts, notamment en raison d’un procès récurrent en militantisme. C’est notamment le cas à Rennes-II, où la présence de membres d’associations animalistes dans le corps enseignant a provoqué l’ire du député Les Républicains des Côtes-d’Armor, Marc Le Fur, et de représentants de l’industrie agroalimentaire, qui ont fustigé une « idéologie » sous le couvert d’une « accréditation universitaire ». C’est aussi le sentiment de Pierre, 64 ans, qui s’est inscrit au DU « par curiosité ». Il est l’un des deux étudiants issus de l’industrie agroalimentaire : « Tous les aspects du rapport entre l’homme et l’animal ne sont pas traités : l’agriculture et l’élevage ne sont jamais présentés comme des richesses pour la Bretagne. Les étudiants et certains enseignants semblent partager l’idée d’une nécessité d’abolir l’élevage, mais ça n’est pas aussi simple ! »  Cette porosité entre science et militantisme est caractéristique des animal studies, aujourd’hui animées par « des universitaires qui affirment une sensibilité vis-à-vis de la cause animale », concède M. Michalon. Reste que « cette communauté est à l’origine d’une importante production de connaissances concernant la condition animale », précise-t-il. Aux critiques, Emilie Dardenne répond que les militants « n’interviennent pas en tant que tels, mais en tant que professionnels du droit et de l’éducation en éthique animale ». Quant aux autres enseignants : « Nous sommes universitaires. Notre objectif est de transmettre des savoirs, pas de former des militants », assure-t-elle.

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