Le casse-tête du confinement pour les addicts
au sport Par Sandrine
Cabut
La bigorexie, c’est-à-dire la dépendance à la pratique sportive, commence à
faire sentir ses effets. Le Covid-19 pourrait révéler à certains pratiquants à
quel point leur vie est centrée sur l’exercice physique.
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/04/13/le-casse-tete-du-confinement-pour-les-addicts-au-sport_6036412_1650684.html
La quintuple championne du monde de karaté Alexandra Recchia, à
l’entraînement dans son jardin, le 3 avril à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne)
Bien sûr, il y a les innombrables applis, tutos, challenges, bienvenus pour
faire du sport sans sortir. Et puis les messages réguliers du ministère des
sports et des médecins rappelant la nécessité de maintenir une pratique
minimale d’activités physiques dynamiques, et de réduire le temps passé en
position assise ou allongée. Mais pour les sportifs avec une pratique
intensive, et surtout pour les addicts à l’activité physique, le confinement
peut devenir problématique. D’autant que les conditions se durcissent par
endroits. Ainsi, depuis le 8 avril, dans les rues de Paris et de cinq
autres départements d’Ile-de-France, la pratique du jogging (et de toute
activité sportive individuelle) est désormais interdite de 10 heures à
19 heures.
Bien connue des médecins du sport et des addictologues, la dépendance au
sport, que certains nomment bigorexie, se caractérise par le besoin
d’une pratique de plus en plus intensive pour se sentir bien, des
entraînements quotidiens aux dépens de la vie familiale et sociale, la
poursuite des séances malgré une blessure…
Comment les accros des salles de sport, des longues courses en montagne,
d’équitation ou du décathlon vivent-ils cette période ? « Beaucoup
d’athlètes de haut niveau que je suis dans différentes disciplines sont
complètement déboussolés, raconte le psychologue du sport Bertrand Guérineau
(CHU de Nantes). Les quinze premiers jours, ils ont trouvé le confinement
pénible, mais aussi un peu drôle. Beaucoup ont inventé des stratégies pour
continuer à pratiquer. Désormais, la prise de conscience est violente, ils
n’ont plus de projets, plus d’étayage, et certains réalisent que toute leur vie
tournait autour du sport, avec un emploi du temps millimétré. »
Pour continuer coûte que coûte l’entraînement, certains font des marathons
sur leur balcon ; d’autres mettent leur réveil à deux heures du matin pour
sortir courir en pleine nuit ; des accros de la musculation ou du crossfit
recréent leur environnement sportif à domicile, quitte à installer une
tyrolienne dans le salon, pour ne pas gêner les enfants qui travaillent en
dessous, cite le psychologue du sport. « Ces aménagements, cela peut
prêter à sourire, surtout en vidéo, mais il ne faut pas minimiser la souffrance
derrière », souligne-t-il.
« Comme avec le cannabis »
« Pour les plus dépendants au sport, le sevrage peut être compliqué,
un peu comme avec le cannabis », estime l’addictologue William Lowenstein,
président de l’association SOS Addictions, qui précise cependant ne pas avoir
beaucoup de remontées de terrain préoccupantes dans cette population.
Dans sa pratique habituelle, la dépendance à l’exercice physique n’est pas
un motif fréquent de consultation, mais elle est volontiers découverte à
l’occasion d’une prise en charge d’addiction à des substances, éventuellement
dans un contexte de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. « Mon
inquiétude, dans une telle période, est que ces patients cherchent des
compensations avec de l’alcool, un produit qui permet de changer le rapport au
temps en l’accélérant ; et aussi avec de la nourriture, par l’apaisement
que procurent le sucre et le gras », rapporte le docteur Lowenstein.
Même privés de leur discipline, tous les athlètes ne sont pas au fond du
trou. « Le lancer de disque me manque, mais je n’ai pas de sensation de
sevrage », assure ainsi Mélina Robert-Michon. La vice-championne olympique
à Rio, en 2016, qui s’entraîne habituellement trente heures par semaine
avec une dizaine de séances de lancer de disque, réussit à s’entretenir à
domicile. Elle a même aménagé une cage dans son jardin. Certes, il est
difficile de ne pas pouvoir se projeter dans de prochaines compétitions,
concède la championne. Mais au quotidien, entre les entraînements et sa mission
de mère de famille qui doit assurer l’école à la maison, les journées passent
comme l’éclair.
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