jeudi 16 avril 2020

FOCUS Le casse-tête du confinement pour les addicts au sport


Le casse-tête du confinement pour les addicts au sport Par Sandrine Cabut

La bigorexie, c’est-à-dire la dépendance à la pratique sportive, commence à faire sentir ses effets. Le Covid-19 pourrait révéler à certains pratiquants à quel point leur vie est centrée sur l’exercice physique.

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/04/13/le-casse-tete-du-confinement-pour-les-addicts-au-sport_6036412_1650684.html

La quintuple championne du monde de karaté Alexandra Recchia, à l’entraînement dans son jardin, le 3 avril à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne)

Bien sûr, il y a les innombrables applis, tutos, challenges, bienvenus pour faire du sport sans sortir. Et puis les messages réguliers du ministère des sports et des médecins rappelant la nécessité de maintenir une pratique minimale d’activités physiques dynamiques, et de réduire le temps passé en position assise ou allongée. Mais pour les sportifs avec une pratique intensive, et surtout pour les addicts à l’activité physique, le confinement peut devenir problématique. D’autant que les conditions se durcissent par endroits. Ainsi, depuis le 8 avril, dans les rues de Paris et de cinq autres départements d’Ile-de-France, la pratique du jogging (et de toute activité sportive individuelle) est désormais interdite de 10 heures à 19 heures.

Bien connue des médecins du sport et des addictologues, la dépendance au sport, que certains nomment bigorexie, se caractérise par le besoin d’une pratique de plus en plus intensive pour se sentir bien, des entraînements quotidiens aux dépens de la vie familiale et sociale, la poursuite des séances malgré une blessure…

Comment les accros des salles de sport, des longues courses en montagne, d’équitation ou du décathlon vivent-ils cette période ? « Beaucoup d’athlètes de haut niveau que je suis dans différentes disciplines sont complètement déboussolés, raconte le psychologue du sport Bertrand Guérineau (CHU de Nantes). Les quinze premiers jours, ils ont trouvé le confinement pénible, mais aussi un peu drôle. Beaucoup ont inventé des stratégies pour continuer à pratiquer. Désormais, la prise de conscience est violente, ils n’ont plus de projets, plus d’étayage, et certains réalisent que toute leur vie tournait autour du sport, avec un emploi du temps millimétré. »

Pour continuer coûte que coûte l’entraînement, certains font des marathons sur leur balcon ; d’autres mettent leur réveil à deux heures du matin pour sortir courir en pleine nuit ; des accros de la musculation ou du crossfit recréent leur environnement sportif à domicile, quitte à installer une tyrolienne dans le salon, pour ne pas gêner les enfants qui travaillent en dessous, cite le psychologue du sport. « Ces aménagements, cela peut prêter à sourire, surtout en vidéo, mais il ne faut pas minimiser la souffrance derrière », souligne-t-il.

« Comme avec le cannabis »

« Pour les plus dépendants au sport, le sevrage peut être compliqué, un peu comme avec le cannabis », estime l’addictologue William Lowenstein, président de l’association SOS Addictions, qui précise cependant ne pas avoir beaucoup de remontées de terrain préoccupantes dans cette population.

Dans sa pratique habituelle, la dépendance à l’exercice physique n’est pas un motif fréquent de consultation, mais elle est volontiers découverte à l’occasion d’une prise en charge d’addiction à des substances, éventuellement dans un contexte de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. « Mon inquiétude, dans une telle période, est que ces patients cherchent des compensations avec de l’alcool, un produit qui permet de changer le rapport au temps en l’accélérant ; et aussi avec de la nourriture, par l’apaisement que procurent le sucre et le gras », rapporte le docteur Lowenstein.
Même privés de leur discipline, tous les athlètes ne sont pas au fond du trou. « Le lancer de disque me manque, mais je n’ai pas de sensation de sevrage », assure ainsi Mélina Robert-Michon. La vice-championne olympique à Rio, en 2016, qui s’entraîne habituellement trente heures par semaine avec une dizaine de séances de lancer de disque, réussit à s’entretenir à domicile. Elle a même aménagé une cage dans son jardin. Certes, il est difficile de ne pas pouvoir se projeter dans de prochaines compétitions, concède la championne. Mais au quotidien, entre les entraînements et sa mission de mère de famille qui doit assurer l’école à la maison, les journées passent comme l’éclair.

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