mercredi 15 avril 2020

FOCUS Des nouvelles de Groupe Ouest: huit scénaristes confinés en atelier d’écriture


Huit scénaristes confinés en atelier d’écriture Par Clarisse Fabre 12/04/2020 Le Monde

Lukas Dhont, réalisateur de « Girl » (2018), et sept autres auteurs participent à un travail d’équipe mené à distance par le Groupe Ouest.

https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/04/12/huit-scenaristes-confines-en-atelier-d-ecriture_6036377_3246.html

 

Capture d’écran des scénaristes confinés. Groupe Ouest

Le téléphone sonne et le visage juvénile de Lukas Dhont, réalisateur de Girl (2018), apparaît sur l’écran à l’heure dite du rendez-vous. Un tee-shirt blanc, la main dans ses cheveux coupés en brosse, il entame la discussion en nous montrant la vue sur le parc depuis son appartement situé à Gand, en Belgique. « Ici, on peut sortir pour faire des courses sans attestation, mais on ne peut pas être plus de deux personnes ensemble », dit-il. En vue de préparer son prochain film, Angel, Lukas Dhont devait rejoindre, début avril, avec sept autres auteurs, la résidence de scénarios du Groupe Ouest, fondé par Antoine Le Bos à Plounéour-Trez, dans le Finistère.

Si la crise sanitaire va empêcher le petit groupe de se retrouver phyiquement au fin fond de la Bretagne, l’atelier a été maintenu. Commencé le 9 avril, il aura lieu à distance jusqu’au 16 avril, à raison d’une matinée par jour. Deux autres sessions auront lieu en juin puis à l’automne. La pépinière de scénaristes peut se targuer d’avoir accueilli dans le passé Houda Benyamina, qui préparait alors Divines, distingué par la Caméra d’or à Cannes en 2017. Ou encore Maïmouna Doucouré, réalisatrice de Mignonnes, et Massoud Bakhshi, réalisateur de Yalda, la nuit du pardon, deux films primés au festival américain de Sundance en 2019.

Après l’immense succès de son premier long métrage Girl, sur une jeune danseuse transgenre (Caméra d’or et Queer Palm à Cannes en 2018), dans quel état d’esprit Lukas Dhont prépare-t-il son deuxième « long » ? « Je ne pense pas vraiment au succès, surtout, je ne veux pas décevoir », insiste le cinéaste âgé de 29 ans. Angel est l’histoire d’un jeune garçon de 11 ou 12 ans, dont la vie va basculer à l’approche de l’été. « Mon producteur m’interdit de parler du film ! Il me répète : ne dis rien à personne... Mais quand je suis en écriture, je pense à mes personnages autant qu’à mes proches, c’est comme une seconde peau. J’ai toujours l’histoire dans la tête et ça ne s’arrête jamais. Angel parle de la masculinité et de ce que l’on attend des garçons », résume Lukas Dhont. Il travaille à nouveau avec le coscénariste de Girl, le Belge Angelo Tijssens, également acteur au sein de la troupe flamande Ontroerend Goed.

« Pour écrire Girl, j’avais déjà participé à des workshops, à l’Atelier d’Angers du festival Premiers plans, ainsi qu’à la Cinéfondation de Cannes. Les résidences vous aident à tirer au clair votre récit. J’ai besoin de partager les luttes d’autres auteurs, et d’avoir leur regard sur mon travail, d’aborder tous les angles de l’histoire ».

Désobéissance

Le Groupe Ouest s’apprête aussi à « accueillir » trois jeunes cinéastes très inquiets pour la planète, Jérémy Bernard, Guillaume Desjardins et Bastien Ughetto, auteurs de la série L’effondrement, diffusée sur Canal + en novembre 2019. Les huit épisodes s’inspirent des travaux du collapsologue Pablo Servigne pour chroniquer une société en voie d’extinction, laquelle pourrait trouver une issue dans la coopération. Tiens, tiens... Replonger dans cette histoire en plein « coronavirus » est assez troublant.

C’est Guillaume Desjardins, 31 ans, qui nous parle au téléphone de son prochain film avec ses deux camarades, sur le thème de la résistance. « Qu’est-ce que la résistance aujourd’hui ? C’est peut-être dans les ZAD (zones à défendre) qu’elle est la plus emblématique, car elle engage le corps, elle est physique et nous parle de désobéissance », explique le réalisateur. « Nous voulons mettre du sens dans nos histoires. Quel parcours devons-nous faire emprunter au spectateur pour qu’il réfléchisse ? Toutes les histoires ont été racontées. On veut se libérer de la patte d’Hollywood, on veut tout déstructurer et tout reconstruire. C’est une sorte d’auto thérapie, et dans l’atelier de scénario, on aura des thérapeutes externes », dit-il.

Car on ne naît pas scénariste, explique Delphine Maury, productrice de projets sur l’enfance (Tant mieux prod), qui prépare avec Marine Blin un film d’animation adapté de L’ours et l’ermite de John Yeoman et Quentin Blake (Ed. Young Lions, 1960). L’histoire d’une rencontre et d’une amitié improbable entre un ours maladroit et un ermite des plus sages. « Cela fait plusieurs années que j’accompagne des gens pour leurs scénarios, mais je ne me vis pas comme scénariste. Aujourd’hui j’ai besoin d’être défiée, j’ai envie d’un accompagnement bouillonnant. Les noeuds d’écriture, je les ai souvent vus se dénouer par la parole et l’échange », dit Delphine Maury, en direct du petit jardin situé au pied de son immeuble.

Rencontrer « pour de vrai »

Comment passer du livre au film ? « L’histoire est construite sur le rythme d’un chapitre par jour, mais à l’écran ce n’est pas possible. Il nous faut tout réécrire pour que dramatiquement on arrive à raconter comment se noue la relation entre les deux personnages ». Delphine Maury est impatiente de rencontrer « plus tard » les autres auteurs pour de vrai : « Les choses se nouent quand on prépare la cuisine ensemble, quand on mange ensemble... ».

En attendant, l’équipe du Groupe Ouest branche les ordinateurs et prépare les télé-conférences. Les autres auteurs sélectionnés sont Rémi Allier, Daouda Coulibaly, Crew Czarlewski, Jean-Claude Rozec et Julien Silloray. « On ne pouvait pas annuler ce rendez-vous et laisser les auteurs avec un chantier d’écriture au bout des doigts... Alors on a adapté notre programme : une demi-journée de travail pendant huit jours, avec les deux coaches scénaristes, le Canadien Marcel Beaulieu et la Suisse Séverine Cornamusaz. Une journée entière devant les écrans n’était pas tenable » explique le patron du Groupe Ouest, Antoine Le Bos, philosophe de formation et ancien navigateur.
« C’est un workshop avec des gens de pays différents, et on est tous enfermés. On a déjà fait un test la semaine dernière et la qualité des échanges est assez étonnante. On ne peut pas raconter les mêmes histoires après ce virus. Faire un film, ce n’est pas juste pour flatter les nombrils et aller dans les festivals. La question, c’est à quel endroit on fabrique du sens pour les humains d’aujourd’hui ? ». Mais forcément, dit-il, une résidence d’écriture à distance reste une expérience bien à part : « Dans un atelier réel, la présence animale et la règle de l’apparence sociale jouent un rôle. Ce théâtre semble disparaître devant les écrans ».

Plounéour-Trez, le « phare ouest » de l’écriture de scénario Par Clarisse Fabre 28 juin 2017 Le Monde

Fondé dans une usine finistérienne en 2006, Le Groupe Ouest a accueilli les cinéastes Houda Benyamina et Julien Lilti.

https://www.lemonde.fr/cinema/article/2017/06/28/plouneour-trez-le-phare-ouest-de-l-ecriture-de-scenario_5152300_3476.html

L’ancienne usine finistérienne est devenue l’un des grands pôles européens pour l’écriture de scénarios. DR

Est-ce que l’on crée de la même manière chez soi, seul devant son ordinateur, ou dans un endroit reculé, entouré de gens qui connaissent les mêmes affres de l’écriture ? Pour obtenir un élément de réponse, prenez l’Hexagone, repérez son extrémité ouest, au niveau de la localité de Plounéour-Trez. Après une heure de voiture depuis Brest, le bâtiment aux planches bru­nies apparaît entre les arbres. « Le Groupe Ouest » en lettres blanches sur la façade. L’ancienne usine de mise en cageots d’échalotes est devenue la grange à idées : ici, on fabrique des scénarios.

Natif de ce Finistère nord, philosophe de formation et scénariste, Antoine Le Bos, 51 ans, a fondé Le Groupe Ouest en 2006, avec cette conviction : on ne naît pas scénariste. « Il y a un poncif post-Nouvelle Vague qui dit ceci : “Soit t’es un bon scénariste, soit tu fais un autre métier.” Nous pensons qu’un scénario, ça se travaille. Il faut muscler notre capacité à tenir en haleine le spectateur, tout en creusant le sens politique et poétique du récit. Entre les histoires formatées d’Hollywood et le pôle intellectuel, il y a une place pour un cinéma indépendant qui fabrique non pas de la certitude, mais du questionnement », explique l’ancien navigateur. Antoine Le Bos part pour les festivals comme il partait autrefois en mer, dans un incessant va-et-vient. Quand il est de retour, il se consacre, avec son équipe de dix permanents, aux auteurs.

« Le collectif nous fait avancer »

Bienvenue au « phare ouest » du cinéma : chaque année, huit résidents sont retenus et effectuent trois séjours d’une semaine, étalés sur neuf mois, accompagnés par deux consultants de renom qui sont de « vrais scénaristes » : « Ils ont eux-mêmes traversé la souffrance de l’écriture et en portent encore les cicatrices », précise le « boss ». Les auteurs sont accueillis dans des maisons prêtées ou louées par les habitants.

Ici, chaque auteur se filme avec son téléphone portable et doit présenter son film en 5 minutes. Le résultat est projeté sur grand écran, en début de session, de­vant les autres participants. C’est le « raconte-moi », une étape-clé. Chacun donne son avis sur le projet des autres. Quand ça bloque, le petit groupe part faire des promenades sur les plages… Car Antoine Le Bos est un féru des théories cognitives : « On sait aujourd’hui que les connexions se font mieux dans le cerveau quand le corps est en mouvement », résume-t-il.

Ainsi, Houda Benyamina a fait de longues marches lorsqu’elle est venue travailler son premier long-métrage, Divines. Bingo ! Le film a obtenu la Caméra d’or à Cannes, en 2016. Dans la foulée, Le Groupe Ouest a connu une marée montante de postulants – 250 candidats en 2017.

La réalisatrice est de retour, cette année, avec le scénariste Romain Compingt, pour un prochain « long » sur la double vie d’une jeune femme pendant la guerre d’Algérie (1954-1962). Parmi les sept autres auteurs, qui effectuaient leur séjour la semaine du 19 juin, Lucile Hadzihalilovic, réalisatrice d’Evolution (2015), qui prépare une libre adaptation de La Reine des neiges ; la cinéaste suisso-marocaine Halima Ouardiri, qui « sculpte » le personnage d’une femme insoumise ins­crite en douce dans une école de conduite, en Arabie saoudite.

Quant à Jean-Baptiste Durand, ancien élève des Beaux-Arts de Montpellier, il peaufine son intrigue autour d’un triangle amoureux, dans un village de l’Hérault. « N’ayant pas fait d’études de cinéma, je me sentais désem­paré… Mais je vois ici que je ne suis pas ­le seul ! Et le collectif nous fait avancer », confie-t-il.

C’est le grand jour, en présence des deux consultants, le Québécois Marcel Beaulieu et le Colombien Nicolas Buenaventura. Sara Wikler, ancienne responsable des acquisitions de films à Canal+, désormais à Studio Canal, est de passage pour donner son avis sous l’angle du marché. « J’ai vu passer trop de films qui recevaient de l’aide, mais qui n’étaient pas mûrs en termes de récit… », analyse-­t-elle. L’enjeu est aussi géopolitique, explique Antoine Le Bos : « Le cinéma indépendant doit faire entendre sa voix face à Trump, Daech et Poutine. Il faut se désintoxiquer d’une vision simplificatrice pour aller vers un nouvel humanisme. »

« Notre rêve : ouvrir des studios »

Le Groupe Ouest s’inscrit dans une histoire. Le Festival du film ­de Sundance, aux Etats-Unis, a ouvert la voie il y a plus de vingt ans, avec des séances d’aide à l’écriture de scénarios. D’autres laboratoires ont suivi, avec lesquels les « Bretons » travaillent en partenariat : le TorinoFilmLab, en Italie, et le Cross Channel Film Lab, au Royaume-Uni. Sont sortis du hangar à échalotes le film d’animation Adama (2016), de Julien Lilti et Simon Rouby, ou encore Godless, de la réalisatrice franco-bulgare Ralitza Petrova, qui a reçu le Léopard d’or au Festival international du film de Locarno, en 2016.

Le Groupe Ouest résiste grâce à un alliage de fonds publics et privés – au premier rang desquels le Crédit agricole du Finistère. « Avec Antoine Le Bos, on a créé un fonds pour le cinéma, le Breizh Film Fund, qui est ouvert à d’autres investisseurs privés. Notre rêve, c’est d’ouvrir des studios de tournage pour tester les scénarios », indique le directeur de la banque, Nicolas Venard. Le Groupe Ouest fait partie du réseau « Less is More », soutenu par l’Union européenne, qui aide des films à moins de 500 000 euros. Antoine Le Bos cite Orson Welles, qui, dit-il, « bricolait des films dans son garage à la fin de sa vie ». « Il disait : “The enemy of art is the absence of limitations” » – « l’ennemi de l’art est l’absence de contraintes ».

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