samedi 11 avril 2020

Penser à partir de l'Actu avec Giuliano Da Empoli: Aujourd’hui, est souverain celui qui dispose des données.




Giuliano Da Empoli : "Notre devoir sera plutôt celui de reconstruire après la défaite"

10/04/2020 France Culture Emmanuel Laurentin avec l’équipe du « Temps du débat ».

Coronavirus, une conversation mondiale | Pour Giuliano Da Empoli, essayiste italien et ancien conseiller politique de Matteo Renzi, si la crise actuelle est bel et bien une "guerre", les Européens, contrairement aux démocraties asiatiques, la mènent avec les armes d'hier.

L'essayiste italien Giuliano Da Empoli nous propose une lecture critique de la manière dont les dirigeants européens tentent de répondre à ce qu'ils appellent une "guerre". 

Il est facile d’évoquer le « retour de l’État » face au Coronavirus, mais de quel État s’agit-il ? De toute évidence, la crise actuelle fait ressortir la fonction protectrice originelle de toute organisation étatique. Il est clair aussi que les soignants se retrouvent en première ligne dans ce que nos leaders, issus du XXe siècle, s’obstinent à définir comme une guerre, pour ressentir le frisson de revêtir les habits de Churchill et de Clémenceau. 

Mais le problème est que nous sommes en train de mener cette guerre avec les armes de la précédente. Par rapport à Singapour, Taiwan ou la Corée du Sud, des États comme l’Italie, la France ou le Royaume-Uni font figure d’institutions du Moyen-Âge. Elles sont contraintes de demander à leurs citoyens de se terrer chez eux comme on le faisait à l’époque des pestilences du XIVe siècle, tandis que les démocraties asiatiques affrontent le virus avec les armes de la technologie : les masques à haute protection, le dépistage de masse, le contact tracing

Comme l’a écrit le philosophe allemand-coréen Byung-Chul Han, l’Europe qui proclame l’état d’urgence et ferme les frontières suit un vieux modèle de souveraineté. Aujourd’hui, est souverain celui qui dispose des données. Et nos souverains n’en disposent pas parce qu’ils ne disposent pas des tests. Ils ne sont donc pas de vrais souverains, mais plutôt des impuissants, contraints de redécouvrir des pouvoirs d’autres temps pour restaurer un semblant de contrôle de la situation. 

Constater ce retard ne signifie pas cautionner les mesures invasives de la vie privée qui ont été adoptées dans certains pays asiatiques, où la position des personnes infectées est tracée et rendue publique en permanence. Mais, au-delà du fait qu’aucune mesure ne porte autant atteinte à liberté individuelle que le confinement auquel nous sommes actuellement soumis, il tient aux Européens d’élaborer un modèle différent, plus respectueux des valeurs sur lesquelles sont construites nos sociétés. Pour pouvoir le faire, cependant, nous devrons d’abord rattraper notre retard, qui n’est pas que technologique mais surtout de vision et de prévision. 

La crise mondiale du Coronavirus est une formidable machine à comparer les leaders politiques et les appareils d’État. Par chance, les gouvernants européens peuvent encore compter sur l’héritage des systèmes de santé publics créés au siècle dernier. Mais, on ne peut pas dire qu’ils aient brillé jusqu’ici, ni pour leur capacité de leadership (la palme en la matière revient à Jacinda Ardern, la première ministre de la Nouvelle-Zélande, qui a ordonné le confinement général bien en avance, sans hystérie ni métaphores guerrières), ni pour leur préparation technico-scientifique, ni pour la cohérence de leurs actes au cours des dernières semaines. 

Dans une telle situation, l’usage de métaphores guerrières est un faux pas de la part de nos dirigeants. Si le Coronavirus était une guerre, force serait d’admettre que la majorité des pays européens a été envahie par un blitzkrieg face auquel nos généraux étaient impréparés et divisés. Quand les mesures de confinement auront produit leur effet sur la diffusion du virus, notre devoir sera plutôt celui de reconstruire après la défaite. Et la première condition sera de faire preuve d’une salutaire dose d’humilité. 
Bibliographie :


Les ingénieurs du chaos Giuliano Da Empoli  éd. JC Lattès, 2019 

Présentation de l'éditeur : « Le carnaval, disait Goethe en parcourant les rues de Rome, est une fête que le peuple se donne à lui-même. »  Un peu partout, en Europe et ailleurs, la montée des populismes se présente sous la forme d'une danse effrénée qui renverse toutes les règles établies et les transforme en leur contraire. Aux yeux de leurs électeurs, les défauts des leaders populistes se muent en qualités. Leur inexpérience est la preuve qu'ils n'appartiennent pas au cercle corrompu des élites et leur incompétence, le gage de leur authenticité. Les tensions qu'ils produisent au niveau international sont l'illustration de leur indépendance et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur liberté de penser. Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Matteo Salvini, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d'éclat. Pourtant, derrière les apparences débridées du carnaval populiste, se cache le travail acharné de dizaines de spin-doctors, d'idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d'experts du Big Data, sans lesquels ces leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir. Ce sont ces ingénieurs du chaos, dont Giuliano da Empoli brosse le portrait.  Du récit incroyable de la petite entreprise de web-marketing devenue le premier parti italien, en passant par les physiciens qui ont assuré la victoire du Brexit et par les communicants qui ont changé le visage de l'Europe de l'Est, jusqu'aux théoriciens de la droite américaine qui ont propulsé Donald Trump à la Maison Blanche, cette enquête passionnante et inédite dévoile les coulisses du mouvement populiste global. Il en résulte une galerie de personnages hauts en couleur, presque tous inconnus du grand public, et qui sont pourtant en train de changer les règles du jeu politique et le visage de nos sociétés.

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