Giuliano Da Empoli :
"Notre devoir sera plutôt celui de reconstruire après la défaite"
10/04/2020 France Culture Emmanuel Laurentin avec l’équipe du « Temps
du débat ».
Coronavirus, une conversation mondiale | Pour Giuliano Da Empoli, essayiste
italien et ancien conseiller politique de Matteo Renzi, si la crise actuelle
est bel et bien une "guerre", les Européens, contrairement aux démocraties
asiatiques, la mènent avec les armes d'hier.
L'essayiste italien Giuliano Da Empoli nous propose une
lecture critique de la manière dont les dirigeants européens tentent de
répondre à ce qu'ils appellent une "guerre".
Il est facile d’évoquer le « retour de l’État » face au
Coronavirus, mais de quel État s’agit-il ? De toute évidence, la crise
actuelle fait ressortir la fonction protectrice originelle de toute
organisation étatique. Il est clair aussi que les soignants se retrouvent
en première ligne dans ce que nos leaders, issus du XXe siècle, s’obstinent à
définir comme une guerre, pour ressentir le frisson de revêtir les habits de
Churchill et de Clémenceau.
Mais le problème est que nous sommes en train de mener cette guerre avec
les armes de la précédente. Par rapport à Singapour, Taiwan ou la Corée du
Sud, des États comme l’Italie, la France ou le Royaume-Uni font figure
d’institutions du Moyen-Âge. Elles sont contraintes de demander à leurs
citoyens de se terrer chez eux comme on le faisait à l’époque des pestilences
du XIVe siècle, tandis que les démocraties asiatiques affrontent le virus avec
les armes de la technologie : les masques à haute protection, le dépistage
de masse, le contact tracing.
Comme l’a écrit le philosophe allemand-coréen Byung-Chul Han, l’Europe qui
proclame l’état d’urgence et ferme les frontières suit un vieux modèle de
souveraineté. Aujourd’hui, est souverain celui qui dispose des données. Et nos souverains
n’en disposent pas parce qu’ils ne disposent pas des tests. Ils ne sont donc
pas de vrais souverains, mais plutôt des impuissants, contraints de redécouvrir
des pouvoirs d’autres temps pour restaurer un semblant de contrôle de la
situation.
Constater ce retard ne signifie pas cautionner les mesures invasives de la
vie privée qui ont été adoptées dans certains pays asiatiques, où la position
des personnes infectées est tracée et rendue publique en permanence. Mais,
au-delà du fait qu’aucune mesure ne porte autant atteinte à liberté
individuelle que le confinement auquel nous sommes actuellement soumis, il
tient aux Européens d’élaborer un modèle différent, plus respectueux des
valeurs sur lesquelles sont construites nos sociétés. Pour pouvoir le faire,
cependant, nous devrons d’abord rattraper notre retard, qui n’est pas que
technologique mais surtout de vision et de prévision.
La crise mondiale du Coronavirus est une formidable machine à comparer les
leaders politiques et les appareils d’État. Par chance, les gouvernants
européens peuvent encore compter sur l’héritage des systèmes de santé publics
créés au siècle dernier. Mais, on ne peut pas dire qu’ils aient brillé jusqu’ici, ni pour leur
capacité de leadership (la palme en la matière revient à Jacinda Ardern, la
première ministre de la Nouvelle-Zélande, qui a ordonné le confinement général
bien en avance, sans hystérie ni métaphores guerrières), ni pour leur
préparation technico-scientifique, ni pour la cohérence de leurs actes au cours
des dernières semaines.
Dans une telle situation, l’usage de métaphores guerrières est un faux pas
de la part de nos dirigeants. Si le Coronavirus était une guerre, force serait
d’admettre que la majorité des pays européens a été envahie par un blitzkrieg
face auquel nos généraux étaient impréparés et divisés. Quand les mesures de
confinement auront produit leur effet sur la diffusion du virus, notre devoir
sera plutôt celui de reconstruire après la défaite. Et la première condition
sera de faire preuve d’une salutaire dose d’humilité.
Bibliographie :
Les ingénieurs du chaos Giuliano Da Empoli éd. JC Lattès, 2019
Présentation de l'éditeur : « Le
carnaval, disait Goethe en parcourant les rues de Rome, est une fête que le
peuple se donne à lui-même. » Un peu partout, en Europe et ailleurs,
la montée des populismes se présente sous la forme d'une danse effrénée qui
renverse toutes les règles établies et les transforme en leur contraire. Aux
yeux de leurs électeurs, les défauts des leaders populistes se muent en
qualités. Leur inexpérience est la preuve qu'ils n'appartiennent pas au cercle
corrompu des élites et leur incompétence, le gage de leur authenticité. Les
tensions qu'ils produisent au niveau international sont l'illustration de leur
indépendance et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur
liberté de penser. Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Matteo
Salvini, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d'éclat. Pourtant,
derrière les apparences débridées du carnaval populiste, se cache le travail
acharné de dizaines de spin-doctors, d'idéologues et, de plus en plus souvent,
de scientifiques et d'experts du Big Data, sans lesquels ces leaders populistes
ne seraient jamais parvenus au pouvoir. Ce sont ces ingénieurs du chaos, dont
Giuliano da Empoli brosse le portrait. Du récit incroyable de la petite
entreprise de web-marketing devenue le premier parti italien, en passant par
les physiciens qui ont assuré la victoire du Brexit et par les communicants qui
ont changé le visage de l'Europe de l'Est, jusqu'aux théoriciens de la droite
américaine qui ont propulsé Donald Trump à la Maison Blanche, cette enquête
passionnante et inédite dévoile les coulisses du mouvement populiste global. Il
en résulte une galerie de personnages hauts en couleur, presque tous inconnus
du grand public, et qui sont pourtant en train de changer les règles du jeu
politique et le visage de nos sociétés.
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