
Immobilier : le confinement renforce
l’appel du vert et le désir de maison Par Isabelle
Rey-Lefebvre 27/04/2020
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/27/immobilier-le-confinement-renforce-l-appel-du-vert-et-le-desir-de-maison_6037839_3224.html
Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreux citadins envisagent de
quitter la ville pour rejoindre la campagne.
Nathalie et Marc Dupont, artiste peintre et architecte, ne regrettent pas
une seconde le choix qu’ils ont fait, en 2015, de quitter Paris pour
s’installer dans la Sarthe. Un sentiment que le confinement ne fait que
renforcer : « Nous avions un chouette appartement, avec un
atelier, dans un coin très convivial et familial du 11e arrondissement,
mais les contraintes de la ville commençaient à me peser et notre fils se
sentait mal dans son collège où la pression scolaire était forte, raconte
Nathalie. En surfant ensemble sur Internet, un dimanche après-midi, nous
sommes tombés sur l’annonce de vente d’une grande maison, le domaine de La
Richardière, qui nous a séduits instantanément. Sans nous concerter, nous avons
appelé chacun de notre côté l’agence immobilière et nous avons visité les lieux
le week-end suivant : malgré la pluie et la grisaille, ce jour-là, le coup
de foudre a opéré. »
Cinq ans plus tard, Nathalie et Marc Dupont ont, outre leur propre
domicile, aménagé quatre gîtes avec chacun leur atelier d’artiste, un jardin
potager, un verger. Ils ont trouvé leur place dans cette région dont ils
ignoraient tout auparavant et qui les a accueillis à bras ouverts. « Nous
avons désormais trois métiers, les nôtres et celui d’hôte, qui nous donne
beaucoup de satisfactions. A la campagne, tout est plus facile, poursuit
Nathalie. Les relations avec les artisans, avec qui nous travaillons
beaucoup, comme avec la banque ou l’office local du tourisme, par exemple, sont
simples, efficaces et fiables. On a oublié la tension qui rend difficile la vie
dans la capitale. Un couple est ici, en ce moment, confiné depuis un mois et
jusqu’au 11 mai, et il commence à remettre en question son projet d’achat
d’un appartement à Paris… »
Nombre record de requêtes
A écouter les agents
immobiliers depuis quelques semaines, le confinement semble, en
effet, renforcer l’appel du vert aux citadins : « Je reçois 60
demandes par jour pour des maisons de campagne, soit le double d’avant le
17 mars. Ce sont des projets sérieux, réfléchis, avec le désir de
s’installer sur place et d’y créer une activité, atteste Patrice Besse,
fondateur de l’agence qui porte son nom, spécialisée dans les belles pierres,
le patrimoine historique voire des châteaux, souvent très difficiles à vendre. Dans
les mails que je reçois, le mot le plus employé est “environnement” : ce
n’est pas une maison que cherchent ces clients, mais un lieu. »
Guillaume Ull, architecte du patrimoine, et son compagnon Charles Du Jeu, à
la tête, lui, d’une société de services informatiques, ont acquis en 2019
l’abbaye cistercienne de Châtel-Chéhéry, en forêt d’Argonne, dans les Ardennes,
et ses 8 hectares de champs alentour : « Redonner vie à une ruine
pluricentenaire, c’est un rêve d’enfant, confie Guillaume Ull. Et notre
objectif est de retrouver la vocation de ce lieu, y produire des légumes, des
fruits, de la vigne, du miel, comme au temps des moines, tout en l’ouvrant au
public. Nous habitons encore à Paris, mais nous nous sommes confinés ici depuis
un mois et cela légitime plus encore notre démarche : prise en compte du
changement climatique, permaculture, circuits courts… »
L’agence d’immobilier haut de gamme Emile Garcin enregistre également un
nombre record de requêtes pour des achats et des locations dans le Luberon, les
Alpilles, en Camargue ou Haute-Provence : « Des négociations qui
traînaient depuis des mois se sont conclues en quelques jours, pressées par les
événements. Nos clients, chefs d’entreprises, entrepreneurs, consultants,
hôteliers, designers, informaticiens, pour l’essentiel parisiens, lyonnais,
londoniens, new-yorkais et qui, jusqu’ici, cherchaient plutôt des résidences
secondaires, modifient aujourd’hui leurs projets : ils veulent vivre à la
campagne et ne conserver qu’un pied-à-terre en ville. Le télétravail permet
cela. Avant de pouvoir leur faire visiter les biens, nous leur adressons des
vidéos pour entretenir leur intérêt. »
Tendance depuis fin 2018
L’appel du vert ne date pas du 17 mars, c’est une tendance du marché
immobilier depuis fin 2018, nourrie des crises qui se sont succédé :
mouvement des « gilets jaunes » qui a marqué la capitale, grèves des
transports qui l’a paralysée, canicules qui rendent la vie urbaine
insupportable… Depuis le confinement obligé, le télétravail se répand et fait
des adeptes : après n’avoir concerné que 3 % des salariés, il en
touche désormais 30 % et jusqu’à 50 % des seuls cadres. Certaines
professions prennent conscience qu’une prise de distance d’avec le bureau est
possible et qu’il n’est donc peut-être pas nécessaire de rester en ville.
Le site d’annonces immobilières Bien’ici a, au cours de la première quinzaine
d’avril, enregistré une hausse de 43 % – comparé à la première quinzaine
de mars – du nombre de requêtes d’acquéreurs ou de candidats locataires
cochant, dans leurs critères, la présence d’un espace extérieur, terrasse ou
jardin. Le site SeLoger, leader du secteur, fait le même constat : « Les
recherches immobilières se partagent, habituellement, pour moitié entre
appartements et maisons, mais depuis le début du confinement, le taux de
consultation des annonces de maisons à vendre a explosé, et les
recherches de biens en province progressent de 5 % et même de 17 % en
Bretagne, observe Séverine Amate, porte-parole de SeLoger. En revanche,
les demandes d’appartement sont, elles, en baisse de 20 % sur Paris
intra-muros, et de 12,5 % en petite couronne. »
« La crainte d’un nouveau confinement, la banalisation du télétravail,
le besoin d’espace vont-ils conduire à un exode urbain et à la revanche des petites
et moyennes villes et des zones rurales sur les métropoles ? », s’interroge
finalement Séverine Amate.
La qualité des
logements à l’épreuve
Dès le 25 mars, soit quelques jours après le début du confinement,
l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal) lançait
une enquête sur les usages du logement dans cette période particulière. Les
premiers résultats montrent que 28 % des 7 400 répondants ont modifié
l’aménagement de leur intérieur pour télétravailler et, pour cela, remonté de
la cave un bureau, une table de jardin ou de camping pour les installer au pied
du lit, ou aménager un coin bureau dans un placard, un dressing… D’autres ont
annexé la table de la salle à manger ou de la cuisine, reléguant les repas
familiaux au salon, sur la table basse : « Tout cela montre que
les appartements modernes, avec des chambres trop étroites et souvent pas assez
de lumière, sont peu adaptés au télétravail et encore moins à leur utilisation
par tous les occupants réunis, commente Catherine Sabbah, directrice de
l’Idheal. Cela devrait inspirer les promoteurs », suggère-t-elle.
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