Empathie et
bienveillance : révolution ou effet de mode ? Par Jean-François
Dortier Revue Sciences Humaines Juin 2017
Le succès du mot empathie en dit long tant sur la façon de penser
les rapports humains et que sur nos attentes dans ce domaine.
« L’empathie est la mode », nous dit Serge Tisseron. Le psychiatre sait de quoi
il parle : lui-même est l’auteur de plusieurs livres et articles sur le
sujet (1).
La mode de l’empathie – et des qualités qui lui sont associées comme la
bienveillance, la gentillesse et la sollicitude – peut se mesurer à des indices
assez sûrs : la courbe d’apparition du mot et le nombre d’ouvrages qui lui
sont consacrés sont significatifs (figure 1) !
Depuis quelques années, l’empathie est étudiée sous toutes les coutures.
Dans le monde animal : l’éthologue Frans de Waal se taille de beaux succès
avec ses ouvrages sur l’empathie chez les primates, mais aussi les rats, les
dauphins, les oiseaux. L’éthologie montre aujourd’hui que le règne animal n’est
pas celui de la lutte de tous contre tous ; au contraire, la solidarité y est
omniprésente. Chez le petit humain, l’empathie joue aussi rôle fondamental dès
la naissance car la communication entre la mère et l’enfant est un enjeu
crucial de développement du nourrisson (2). Et quand les parents ne sont pas là, ce sont les
« allo-parents » (grands-mères, tantes, nourrices) qui prennent le
relais. Pour l’anthropologue Sarah Blaffer Hdry, l’assistance des mères par des
proches pour s’occuper des nourrissons est même indispensable à la survie. Dans
aucune société humaine, une mère ne peut élever ses enfants complètement
seule (3). Puis l’enfant grandit ; il doit à son tour devenir empathique à l’égard
d’autrui. L’absence d’empathie est le signe d’un trouble de
socialisation : autant dire que l’enfant concerné est un délinquant en puissance.
Le psychologue et sociologue Omar Zanna propose d’ailleurs une « clinique
éducative » pour « restaurer l’empathie chez les mineurs
délinquants (4) » et ainsi permettre leur réinsertion. Nul doute, l’empathie est donc
devenue un enjeu humain majeur pour comprendre les humains et construire le
« vivre ensemble ». Au travail, en famille, à l’école, à l’hôpital,
et même en politique, l’empathie et son corollaire, la bienveillance, sont
sollicités pour rendre les collectifs humains plus viables. On trouve même des
cahiers d’exercice « pour apprendre à mieux être à l’écoute de
l’autre »… ou à l’écoute de soi. Il y a quelques années, Jeremy
Rifkin, gourou de la troisième révolution industrielle, voyait dans l’empathie
la source de la civilisation humaine (5). Que se passe-t-il ? Pourquoi un mot quasiment ignoré il y a une
génération prend aujourd’hui une telle importance, au point d’en faire la
condition essentielle de la vie en commun ?
L’empathie : mais de quoi parle-t-on ?
Le rôle majeur que l’on accorde à l’empathie est d’autant plus surprenant
que le mot était inexistant dans la langue française il y a moins de cinquante
ans ! En effet, comme l’a bien démontré le psychiatre Jacques Hochmann, le
mot allemand « Einfühlung » qui signifie « ressenti de
l’intérieur » date seulement de 1873. Son équivalent anglais, « empathy »,
apparaît en 1909 (6). Quant au mot français « empathie », il date seulement des
années 1960. Certes, les philosophes des Lumières (Hume, Rousseau), puis
Adam Smith avaient utilisé le mot « sympathie » pour désigner l’union
affective entre les personnes, mais la notion était restée assez marginale. La
notion d’empathie (Einfühlung) entrera en psychologie, comme synonyme
« d’intersubjectivité » à partir du 20e siècle. On la
retrouve chez Freud, puis chez le philosophe Edmund Husserl, père de la
phénoménologie, mais son « déferlement contemporain » date d’à peine
vingt ans.
Trois significations
À y regarder de près, l’usage du mot est assez équivoque. Pour simplifier,
trois significations sont généralement distinguées.
• L’empathie cognitive désigne la capacité à comprendre les pensées et intentions d’autrui. En
psychologie cognitive, ont parle aussi de « théorie de l’esprit »
– un mot bien sophistiqué pour désigner une chose simple : quand vous
observez une personne dans le train la tête tournée vers la fenêtre, les yeux
dans le vide, vous comprenez qu’il est en train de rêvasser. Si la personne se
met à fouiller dans son sac, vous comprenez qu’elle cherche quelque chose.
Bref, sans percer complètement ses pensées (à quoi rêve-t-elle, que
cherche-t-elle ?), vous percevez globalement ses intentions. Cette
capacité à lire dans la pensée d’autrui a fait l’objet de quatre décennies de
recherches pour savoir si elle était le propre de l’homme. La question n’est
pas vraiment tranchée (encadré ci-dessous).
• L’empathie affective est la capacité à comprendre, non pas les pensées, mais les émotions
d’autrui. Ce partage d’émotions va au-delà de la simple contagion émotionnelle
(le fou rire qui se propage dans un groupe). Comprendre les émotions d’autrui,
ce n’est pas forcément les partager. On peut percevoir la tristesse ou
l’inquiétude de l’autre sans l’éprouver soi-même. Il est même une forme
d’empathie affective très perverse qui consiste à se réjouir parfois du malheur
d’autrui.
• L’empathie « compassionnelle », enfin, est l’autre
nom de la sollicitude. Elle ne consiste pas simplement à constater la
souffrance ou la joie d’autrui, mais suppose une attitude bienveillante à son
égard. Quand je cherche à consoler un enfant, un ami, un proche qui a subi une
perte…, je n’éprouve pas forcément de peine, mais je sais que quelque chose ne
va pas, je m’en soucie et souhaite apporter quelques mots ou gestes de
réconfort.
Quand la bienveillance entre en société
Pourquoi l’empathie et les notions associées – bienveillance ou sollicitude
– ont-elles pris une telle importance ces dernières années ? On peut
repérer deux logiques combinées : celle des idées et celle des attentes
sociales. Du point de vue des idées, le thème de l’empathie s’inscrit dans une
montée en puissance des modèles relatifs aux origines de la morale, de
l’altruisme et plus généralement du « propre de l’homme ». En
philosophie morale, l’empathie et le souci d’autrui sont à relier à ce grand
courant de pensée qui s’est noué autour du « care » et de
l’« éthique de la sollicitude » à l’égard des personnes vulnérables
(enfants, vieillards, handicapés, réfugiés et victimes) (7). La montée en puissance du care et du souci de l’autre s’explique
aussi par un phénomène social d’importance : l’augmentation et la
diversification des professions liées au soin et à la santé. La prise en charge
des enfants, des personnes âgées, des malades et handicapés et personnes démunies
a connu depuis un demi-siècle la plus forte expansion dans les pays développés.
Tous ces personnels – assistantes maternelles, infirmières, aides-soignants,
aides à domicile, éducateurs et travailleurs sociaux – sont confrontés à une
tâche très singulière : s’occuper d’êtres humains. Et quand on confie ses
enfants ou ses propres parents à une autre personne, on attend d’elle qu’elle
fasse preuve de sollicitude et d’attention. La bienveillance a gagné
aujourd’hui bien d’autres sphères que le secteur du soin : c’est devenu un
mot d’ordre dans l’enseignement, le management et même en politique.
En matière d’éducation, l’appel à la bienveillance concerne autant les
parents que l’institution scolaire . Ainsi le ministère de l’Éducation
nationale a publié en 2014 un guide, Une école bienveillante face aux
situations de mal-être des élèves, à destination des équipes éducatives
afin de promouvoir « une politique éducative globale visant à établir
un climat scolaire serein ». Concrètement, cela signifie que les personnels
sont invités à repérer les signes de mal-être des élèves (dû à des
harcèlements), à éviter les réprobations humiliantes, à enseigner le respect
réciproque.
Dans l’entreprise aussi, la bienveillance est désormais encouragée par les
tenants du management humaniste. Le monde du travail n’étant pas
particulièrement gentil et doux à l’égard des salariés ces derniers temps, des
initiatives sont prises pour tenter d’humaniser les relations. Le management de
la bienveillance se développe, avec comme mot d’ordre la reconnaissance, le
respect, l’écoute et le refus de toute déshumanisation des personnels. Des
chartes de bonnes conduites sont édictées dans certaines entreprises. S’agit-il
de vœux pieux ou de cache-misère ? Les promoteurs de la bienveillance plaident
leur cause : le monde du travail n’est pas un monde de
« bisounours » mais c’est justement parce qu’il est dur et demande
beaucoup à chacun que le respect des personnes doit gagner du terrain (8).
Cet élan général en faveur des bons sentiments a suscité en réaction son
lot de critiques. Elles sont de plusieurs ordres. Une première ligne de
critiques provient des sociologues, qui se méfient des visions
« naturalistes » des émotions et sentiments. Alain Ehrenberg, par
exemple, a fermement contesté que l’empathie soit un sentiment universel et
naturel, comme le soutiennent des psychologues et neurobiologistes selon lesquels
la violence ou la délinquance sont la manifestation d’un trouble de d’empathie.
Les bourreaux d’humains ou d’animaux peuvent être par ailleurs de bons pères de
familles, soucieux de leurs proches et de leurs amis. Simplement, leur empathie
est orientée sur d’autres objets d’attention. Plus généralement, les
sociologues considèrent que l’empathie ou la sollicitude doivent toujours être
envisagées dans leur contexte social. Ainsi, la sociologue américaine Arlie R.
Hochschild, l’une des pionnières de la sociologie des émotions, considère que
la sollicitude est toujours normalisée par des règles du social (felling
rules – ou règles émotionnelles). L’environnement et les missions
professionnelles encadrent ainsi, du moins en partie, les émotions. Il en va
ainsi des hôtesses de l’air, par exemple, qui doivent materner les passagers,
veiller à leur confort. Dans leur cas, la sollicitude n’est pas forcément
feinte ; elle est réelle, mais « capturée » à des fins marchandes
dans le cadre d’une relation de service très normalisée (9). L’auteure parle de « travail émotionnel » à propos de la façon
dont les émotions sont mobilisées au travail. L’empathie au travail peut être
vue aussi sous un autre angle que celui du « gouvernement des
sentiments ». La plupart des métiers de services (le soin, le social,
l’éducation) supposent un engagement dans une relation personnelle auprès des
personnes. Un éducateur travaille avec des adolescents en crise, une assistante
sociale ou une infirmière travaillent au contact d’êtres humains en difficulté.
Cet engagement est très coûteux psychologiquement. À terme, cela peut conduire
à éprouver une grande « fatigue compassionnelle ». Ce n’est
pas un hasard si la notion de « burnout » est apparue aux
États-Unis dans les années 1970 pour décrire une maladie typique des
travailleurs sociaux. Bien que louable, l’empathie a ses faces sombres, et peut
fragiliser celui qui la pratique au quotidien.
L’intérêt de chacun bien compris
La critique de l’empathie et la bienveillance peuvent prendre enfin une
tournure plus directement politique. Pour Paul Bloom (encadré ci-dessous)
ou Yves Michaud, l’appel à la générosité et à la compassion, quand il vise à
régler les problèmes sociaux, aboutit à une concurrence des victimes qui peut
être source d’inégalité : se pencher sur le sort des uns, c’est ignorer
les autres. À cela peuvent s’ajouter certains effets pervers : les bons
sentiments ne font pas toujours de la bonne politique. Y. Michaud rappelle
que des interventions récentes des Occidentaux en Irak au nom des principes
humanitaires ont abouti à la destruction de l’État et favorisé l’essor du
terrorisme. Cette critique politique repose souvent sur la distinction entre
solidarité et bienveillance. Car après tout, il existe des formes d’assistance
mutuelle qui ne reposent en rien sur l’empathie et l’attention à autrui. C’est
le cas avec les systèmes d’assurance et de sécurité sociale. Quand une personne
tombe malade, sa prise en charge ne relève pas d’un geste généreux d’inconnus
mais de la prise en charge d’une caisse commune ou chacun donne son obole pour
ses propres intérêts. Cette solidarité ne fait appel pas appel à l’empathie
réciproque, mais à l’intérêt bien compris de chacun : le partage des
risques. De la même façon, le droit issu de la protection sociale est plus
égalitaire que la philanthropie, certes généreuse, mais qui s’adresse en
général à une communauté, une victime pour laquelle le généreux donateur s’est
ému. Il reste, en dépit des critiques, que le développement des débats à son
sujet nous rappelle une chose essentielle : aucun être humain, aucune
société ne saurait se passer de bienveillance. Un monde sans gentillesse, sans
prévenance, sans bienveillance n’est pas viable. Il est donc sans doute
illusoire de ne compter que sur elle, mais tout aussi illusoire de vouloir s’en
passer. Autrement dit, l’empathie ne fonde peut-être pas les relations
humaines, mais elle les rend plus douce.
Le souci de l'autre, une vertu féminine ?
Les femmes seraient plus les aptes aux professions du soin ? La
répartition des rôles semble répondre sans ambiguïté à la question : les
infirmières, assistantes maternelles, aides à domicile, assistantes sociales,
personnels de crèche ou de classes maternelles, toutes ces professions sont
massivement féminines. Pour Carol Gilligan, la pionnière de la théorie du
« care », le souci des autres relève d’une nature féminine,
plus portée à s’occuper des autres (enfants, parents, malades). De là aussi une
attitude morale plus concrète, qui se distinguerait des grands discours moraux
abstraits et universalistes qui sont typiquement masculins. Cette théorie est
cependant remise en cause par les « études de genres » (gender
studies) qui s’opposent à l’idée que les émotions sociales seraient des
vertus féminines spontanées. L’assignation des femmes au rôle de « bonne
mère » ne serait que le produit d’une éducation et de stéréotypes intégrés
au fil des générations, donnant l’illusion d’une nature féminine différente. Ce
vieux débat qui traverse les sciences sociales n’empêche pas que tout le monde
s’accorde au moins sur un point : s’occuper des autres n’est pas un métier
comme les autres et appelle un rapport à autrui particulier, qu’il relève de
qualités psychologiques innées ou de compétences acquises.
De la sympathie dans le monde animal
L’Âge de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire auteur: Frans de Waal, Ed.Les Liens qui libèrent, 2010.
De la sympathie dans le monde animal
Prenez deux rats ; enfermez-les pendant quelques jours dans une même cage,
le temps qu’ils apprennent à se connaître. Puis introduisez dans la cage un
tube transparent. L’un des rats est placé à l’intérieur du tube dont il ne peut
sortir seul. Il manifeste des signes évidents de panique. Celui qui est libre
va alors entreprendre de libérer son compagnon. Pour y parvenir, il lui faut
ouvrir une trappe. L’exercice, difficile, exige du temps et beaucoup d’essais.
Avec une certaine ténacité, la plupart (23 rats sur 30) parviennent à leur fin
et réussissent à libérer leur compagnon de cellule. Mieux : si on lui
offre un morceau de chocolat (dont ils sont friands), le rat libre délaissera
l’offre et préférera se consacrer à libérer son congénère. L’étude a été
conduite par des chercheurs de l’université de Chicago (10). Voilà des années que l’éthologue Frans de Waal s’emploie à montrer que
les animaux de nombreuses espèces déploient de l’empathie pour d’autres animaux
auxquels ils ne sont pas apparentés, et parfois même à d’autres espèces. Les
exemples sont multiples. Dans un parc naturel de Thaïlande, on a pu observer
une éléphante guider une comparse aveugle. Ailleurs, des chimpanzés viennent
réconforter un compagnon blessé par un léopard. Dans le même groupe, les
observateurs ont assisté à l’adoption d’orphelins par des femelles et parfois
par des mâles adultes après le décès de leur mère. Des rats ou des éléphants,
des dauphins ou chimpanzés qui volent au secours d’autres animaux en
détresse : les exemples sont légion et mettent à mal la vision d’une
jungle animale où règne la lutte de tous contre tous. L’entraide, la
coopération, fondées sur l’empathie, sont au fondement de la morale. Loin
d’être le privilège des humains, elles font partie du répertoire comportemental
de nombreuses espèces.
Contre l'empathie : Dans un discours
prononcé en 2006, Barack Obama soulignait à quel point il était urgent « de
voir le monde à travers les yeux de ceux qui sont différents de nous, l’enfant
qui a faim, le sidérurgiste qui a été licencié, la famille qui a tout perdu
dans une tempête. Quand vous pensez ainsi, quand vous faites preuve
d’empathie avec la souffrance des autres (…), il devient plus difficile
de ne pas (…) aider. » L’ancien président des États-Unis
exprimait ainsi une idée courante : le monde serait meilleur si chacun
faisait preuve d’un surcroît d’empathie. Mais ce n’est pas l’avis de Paul Bloom
qui vient de publier un livre au titre provocateur : Contre l’empathie
(11). Pour ce professeur de psychologie à l’université de Yale, l’empathie est
un très mauvais guide pour agir moralement. Elle serait nécessairement biaisée
en faveur de ceux qui nous ressemblent et aveugle à la misère du plus grand
nombre. Au fond, elle serait injuste. Du coup, P. Bloom lui préfère une
« compassion rationnelle », c’est-à-dire une forme de souci de
l’autre s’accompagnant d’une réflexion sur les avantages et les coûts de nos
actions morales.
Une empathie guidée par la raison : Pour justifier sa
position, P. Bloom expose d’abord les effets négatifs de l’empathie. Le
cas typique est celui où, touché par la détresse d’une enfant malade apparue
dans les médias, le public fait des dons généreux pour lui venir en aide et
pour qu’elle soit soignée en priorité. Or, l’équité voudrait que les dons
soient mieux répartis entre plusieurs enfants ayant autant besoin d’aide que
celle qui est au centre des attentions. C’est bien la preuve, estime
P. Bloom, que notre empathie n’est pas bonne conseillère. Bien sûr,
on peut rétorquer que ce n’est pas l’empathie qui est en cause, c’est ce que
l’on en fait. Sans elle, nous serions incapables de nous mobiliser pour venir
en aide aux autres. La misère et l’injustice du monde ne feraient donc qu’augmenter.
Mais P. Bloom n’est pas d’accord. Enquêtes et expériences de psychologie à
l’appui, il montre que les personnes ayant une forte capacité d’empathie ne
viennent pas davantage en aide au reste du monde. Une situation dramatique
permet d’ailleurs d’illustrer ce rôle secondaire de l’empathie : si un
enfant se noie devant nous, ce n’est pas notre capacité à nous mettre à sa
place qui nous pousse à lui venir en aide ; c’est plutôt un sens du devoir et
de ce qui est juste. Certes, l’empathie peut accompagner de bonnes actions.
Mais elle peut aussi – répond P. Bloom – conduire aux pires
exactions. Par exemple, l’empathie pour les victimes d’une atrocité peut
conduire à en commettre d’autres à l’encontre de ses supposés responsables. Là
encore, certains disent que ce n’est pas l’empathie qui pose problème mais le
fait que les protagonistes ne l’étendent pas assez loin. C’est peu crédible
rétorque à son tour P. Bloom. Par sa nature même, l’empathie n’est pas
extensible à volonté : on ne peut pas se mettre à la place d’inconnus ou
d’individus abstraits. Voilà pourquoi, après avoir répondu à toute sorte
d’objection, il en conclut qu’une froide compassion est préférable à
l’empathie. Bref, entre le cœur et la raison, il vaudrait mieux se laisser
guider par la seconde…
NOTES : 1. Serge Tisseron,
L’Empathie au cœur du jeu social, Albin Michel, 2010, Empathie et
manipulations. Les pièges de la compassion, Albin Michel, 2017. 2. Michel
Dugnat (dir.), Empathie autour de la naissance, Érès, 2016. 3. Sarah
Blaffer Hdry, Comment nous sommes devenus humains. Les origines de
l’empathie, L’Instant présent, 2016. 4. Omar Zanna, Restaurer
l’empathie chez les mineurs délinquants, Dunod. 2010. 5. Jeremy Rifkin,
Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de
l’empathie, 2011. 6. Jacques Hochmann, Une histoire de l’empathie,
Odile Jacob, 2012. 7. Catherine Halpern (coord.), dossier « Quelle
éthique pour notre temps ? », Sciences Humaines, hors-série n° 22,
mai-juin 2017. 8. Jean-François Dortier, « La bienveillance en
entreprise, mythe et réalités », Sciences Humaines, n° 276,
décembre 2015. 9. Arlie Russell Hoshchild, Le Prix des
sentiments. Au cœur du travail émotionnel, La Découverte, 2017. 10. Inbal
Ben-Ami Bartal, Jean Decety et Peggy Mason, « Empathy and pro-social
behavior in rats », Science, vol. CCCXXXIV, n° 6061,
9 décembre 2011. 11. Paul Bloom, Against Empathy. he case for
rational compassion, Bodley Head, 2016.
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