Neandertal, premier à corder Par Pierre
Barthélémy Le Monde le 10 avril 2020
Une équipe internationale a mis au jour, en Ardèche, le plus ancien exemple
jamais retrouvé de cordage. Une découverte qui atteste la maîtrise du fil chez
les cousins d’«Homo sapiens»
C’est une
nouvelle brique pour la grande entreprise de reconstruction et de
réhabilitation de l’homme de Neandertal, longtemps caricaturé en brute épaisse,
mais dont il apparaît, fouille après fouille, qu’il disposait de capacités
cognitives et de techniques n’ayant rien à envier à son cousin Homo sapiens.
Dans une
étude publiée jeudi 9 avril par la revue Scientific Reports,
une équipe internationale annonce la découverte, sur le site ardéchois de
l’abri du Maras, d’un minuscule fragment de cordelette, mis au jour dans une
strate vieille de 41 000 à 52 000 ans. Selon les auteurs,
c’est le plus ancien exemple jamais retrouvé de cordage et il est l’œuvre de
Néandertaliens, les seuls humains qui aient jamais occupé cet abri sous roche
sis à la sortie des gorges de l’Ardèche. A l’origine, personne n’avait rien
vu. Directrice de recherches au CNRS, Marie-Hélène Moncel travaille sur le site
de l’abri du Maras depuis une quinzaine d’années. C’est elle qui a,
en 2015, ramassé un éclat de silex taillé – un parmi les milliers de
restes lithiques et osseux de la strate – et l’a glissé dans un sachet en
plastique. « Je m’en souviens, dit-elle, parce qu’il était
magnifique, mais je n’ai pas fait attention au petit bout de brèche qui y était
collé. » La brèche est une roche qui se crée à partir de la
dégradation d’autres roches. Il y avait donc une sorte de petite pastille de
boue solidifiée sur cet éclat. Et quand, bien plus tard, le silex a été sorti
de son sachet pour analyse et que la brèche a été retirée, l’observation au
microscope a révélé que quelque chose d’autre adhérait au caillou.
La
cordelette découverte dans l'Abri de Maras en France vue au microscope. © M.H
Moncel, Scientific Reports
Des fibres végétales torsadées
Il serait malheureusement trop simpliste de dire qu’il s’agissait du
fragment de cordage car, sauf exception rarissime, les matériaux d’origine
végétale ne résistent pas au passage de dizaines de millénaires. Il s’agissait
plutôt de son moulage fossilisé. « Au cours du temps, explique
Marie-Hélène Moncel, le silex subit des modifications chimiques qui vont
affecter tout ce qui est à sa surface, le minéraliser et le mouler
intégralement avec une précision inimaginable. » C’est ce qui est arrivé au petit bout de
cordage sur lequel reposait l’éclat de silex. L’examen au microscope
électronique à balayage de ce « fossile » de seulement
6,2 millimètres de long pour un demi-millimètre d’épaisseur, a révélé
qu’il y avait là un système à trois brins de fibres végétales torsadées, trois
fils eux-mêmes torsadés les uns autour des autres. « La nature ne peut
pas faire cela, assure la chercheuse française. Ce n’est pas dû au
hasard, c’est volontaire. » D’autres analyses ont montré que les
fibres en question avaient probablement été collectées sous l’écorce d’un
conifère, sans qu’il soit néanmoins possible d’en préciser l’espèce. Plusieurs
études ont déjà mis en évidence que Neandertal avait développé une véritable
expertise du monde végétal qui l’entourait. « Par exemple, quand on a su
analyser le tartre des dents de Néandertaliens, on y a retrouvé des restes de
plantes médicinales et aromatiques, dit Marie-Hélène Moncel. On sait
aussi qu’il travaillait énormément le bois et cette découverte montre qu’il
avait une connaissance des aptitudes des différentes couches du bois. »
Même s’il leur est impossible de
déterminer la fonction de cette cordelette, les auteurs de l’étude soulignent
que cette découverte montre que la technologie cordière s’avère plus
ancienne qu’on ne le pensait jusqu’à présent et que ses applications sont
nombreuses. Outre la confection de cordes, pour tracter ou attacher des
charges – Marie-Hélène Moncel rappelle par exemple que les occupants de l’abri
du Maras devaient y rapporter les pattes des gros mammifères (rennes, chevaux,
bovins) qu’ils chassaient –, la maîtrise du fil et de la fibre permet la
fabrication de sacs ou de filets et constitue une porte d’entrée vers le
textile. Ils ajoutent que la manufacture de cordages, très consommatrice de
temps et de matière première, nécessite « une chaîne opératoire
complexe ».
Des capacités « mathématiques »
Cette remarque n’est pas anodine. De cet infime fragment, les scientifiques
déduisent en effet certaines des capacités mentales de nos anciens cousins, « notamment
mathématiques, précise Marie-Hélène Moncel, car il fallait compter
les fibres. Fabriquer des cordes implique un processus très complexe
d’anticipation et de planification. » L’étude n’hésite d’ailleurs pas à conclure en
expliquant qu’à la lumière des récentes découvertes, « il est
difficile de voir comment nous pouvons considérer les Néandertaliens comme
autre chose que les égaux cognitifs de l’homme moderne ». Toutefois,
Marie-Hélène Moncel ne veut pas entrer dans le jeu de la comparaison à tout
prix entre Homo sapiens et Neandertal : « Il avait sa
propre vision des choses. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de comprendre la
cohérence de son monde. »
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