Katharina Niemeyer : « A la
télé ou sur Facebook, l’épidémie de nostalgie apporte du réconfort » Propos recueillis par Nicolas
Santolaria Publié le 03 avril 2020 Le Monde
Pour la professeure en théories des médias à l’université du Québec à
Montréal, Katharina Niemeyer, l’attrait pour la nostalgie, à la télévision
comme sur les réseaux sociaux, est un moyen de se rassurer face à l’épidémie de
Covid-19.
Professeure en théorie des médias à l’université du Québec à Montréal et
coauteure de Nostalgies contemporaines. Médias, cultures et technologies
(Presses universitaires du Septentrion, à paraître), Katharina Niemeyer voit
dans l’attrait pour la nostalgie, à la télévision comme sur les réseaux
sociaux, un moyen de se rassurer face à l’épidémie de Covid-19.
Avec le confinement, beaucoup de gens pensaient qu’ils
auraient le temps de regarder des séries de qualité, des films d’auteurs
iraniens et ils se retrouvent finalement à visionner « Le Gendarme de
Saint-Tropez » et « La Grande Vadrouille ». Pourquoi ? Il faudrait évidemment
savoir qui, concrètement, regarde ces productions, quel est l’âge des
spectateurs. Mais si on argumente avec ce que la recherche sur la nostalgie et
la consommation télévisuelle a apporté ces dernières années, il est possible
d’y voir une façon de se plonger dans le passé médiatique et de revivre de bons
moments – seul ou en partage familial – pour oublier le stress et la crise
actuelle. Avec le confinement, les chaînes classiques deviennent davantage un
point névralgique d’accès aux informations, mais aussi au sentiment de partager
en même temps, au même moment, la programmation, que ce soit la messe
« historique » du « 20 heures » ou les films
des années 1980 en rediffusion. Sur des plates-formes comme Netflix, ce sentiment
d’« être ensemble » se retrouve davantage au travers
des discussions sur les forums en ligne ou les médias sociaux, et moins au
moment du visionnage.
Ces films du patrimoine ont-ils une fonction
d’antidépresseur face à l’épidémie ? Peuvent-ils fonctionner comme des
« doudous visuels » ? En effet. Les films du passé peuvent fonctionner comme
des médi(a) caments, des pansements momentanés. Historiquement, la nostalgie
désigne le mal du pays de mercenaires suisses partis loin de chez eux et dont
les souffrances de l’éloignement menaient à l’incapacité d’exécuter leur
mission. Le médecin suisse Johannes Hofer a composé le néologisme nostalgie
[en 1688] à partir des termes grecs nostos (« retourner
chez soi ») et algia (« tristesse, douleur »). Au début
du XXe siècle, la nostalgie est sortie du vocabulaire médical
et se voit surtout comme une façon de regretter le temps passé. Pourtant, aux
XVIIe et XVIIIe siècles, les médecins ont montré que
le mal du pays des soldats qui étaient éloignés de chez eux pouvait s’adoucir
en entendant l’accent ou encore des chansons, en regardant des petites gravures
des paysages de leur région, par exemple ; autrement dit, des supports
médiatiques de l’époque les aidaient à se sentir mieux. La force curatrice de
la nostalgie a été démontrée par des psychologues universitaires en Angleterre
dans les années 2000.
Assiste-t-on à une vague nostalgique, en parallèle de
la vague épidémique ? Il y a toujours eu des « épidémies »
nostalgiques dans l’histoire. La petite vague nostalgique émanant avec le
Covid-19 se joint à une plus grande, qui a bien commencé depuis une dizaine
d’années et qui s’étend dans tous les domaines, qu’ils soient culturels,
politiques ou économiques. Les productions médiatiques des dernières années,
comme les séries Stranger Things ou Mad Men, en sont juste une
petite partie.
La nostalgie est souvent associée à quelque chose de
rance, de passéiste. Qu’en pensez-vous ? Ce retour « aux
sources » est compréhensible et il n’a rien de grave. Sous une forme
modérée, il peut faire rire et apporter un moment de déconnexion, que ce soit
avec Louis de Funès ou toute autre forme réconfortante de nostalgie. Cela étant
dit, la nostalgie comme drogue du temps présent ne doit pas durer
éternellement. Selon moi, l’essentiel est que l’on devrait retenir la force
créative et réflective de la nostalgie, son lien à l’utopie, et ne pas tomber
dans la nostalgie régressive qui idéalise un passé qui n’a jamais été
fantastique ou idéal, comme dans le slogan « Make America great
again ».
Le défi qui consiste à poster ses vieilles photos
d’enfance sur Facebook s’inscrit-il dans cette vague nostalgique suscitée par
le Covid-19 ? Oui. La publication des photos de notre enfance est une façon de plonger
dans les archives personnelles analogiques ou numériques et d’explorer son
propre passé en temps de crise, de restituer un fil du temps et surtout de le
partager avec un grand nombre de personnes. Mais il ne faut surtout pas perdre
de vue que cela conduit à donner encore plus d’informations sur nous-mêmes à la
plate-forme Facebook.
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