mercredi 15 avril 2020

FOCUS Katharina Niemeyer : « A la télé ou sur Facebook, l’épidémie de nostalgie apporte du réconfort »


Katharina Niemeyer : « A la télé ou sur Facebook, l’épidémie de nostalgie apporte du réconfort » Propos recueillis par Nicolas Santolaria Publié le 03 avril 2020 Le Monde

 

Pour la professeure en théories des médias à l’université du Québec à Montréal, Katharina Niemeyer, l’attrait pour la nostalgie, à la télévision comme sur les réseaux sociaux, est un moyen de se rassurer face à l’épidémie de Covid-19.

Professeure en théorie des médias à l’université du Québec à Montréal et coauteure de Nostalgies contemporaines. Médias, cultures et technologies (Presses universitaires du Septentrion, à paraître), Katharina Niemeyer voit dans l’attrait pour la nostalgie, à la télévision comme sur les réseaux sociaux, un moyen de se rassurer face à l’épidémie de Covid-19.

Avec le confinement, beaucoup de gens pensaient qu’ils auraient le temps de regarder des séries de qualité, des films d’auteurs iraniens et ils se retrouvent finalement à visionner « Le Gendarme de Saint-Tropez » et « La Grande Vadrouille ». Pourquoi ? Il faudrait évidemment savoir qui, concrètement, regarde ces productions, quel est l’âge des spectateurs. Mais si on argumente avec ce que la recherche sur la nostalgie et la consommation télévisuelle a apporté ces dernières années, il est possible d’y voir une façon de se plonger dans le passé médiatique et de revivre de bons moments – seul ou en partage familial – pour oublier le stress et la crise actuelle. Avec le confinement, les chaînes classiques deviennent davantage un point névralgique d’accès aux informations, mais aussi au sentiment de partager en même temps, au même moment, la programmation, que ce soit la messe « historique » du « 20 heures » ou les films des années 1980 en rediffusion. Sur des plates-formes comme Netflix, ce sentiment d’« être ensemble » se retrouve davantage au travers des discussions sur les forums en ligne ou les médias sociaux, et moins au moment du visionnage.

Ces films du patrimoine ont-ils une fonction d’antidépresseur face à l’épidémie ? Peuvent-ils fonctionner comme des « doudous visuels » ? En effet. Les films du passé peuvent fonctionner comme des médi(a) caments, des pansements momentanés. Historiquement, la nostalgie désigne le mal du pays de mercenaires suisses partis loin de chez eux et dont les souffrances de l’éloignement menaient à l’incapacité d’exécuter leur mission. Le médecin suisse Johannes Hofer a composé le néologisme nostalgie [en 1688] à partir des termes grecs nostos (« retourner chez soi ») et algia (« tristesse, douleur »). Au début du XXe siècle, la nostalgie est sortie du vocabulaire médical et se voit surtout comme une façon de regretter le temps passé. Pourtant, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les médecins ont montré que le mal du pays des soldats qui étaient éloignés de chez eux pouvait s’adoucir en entendant l’accent ou encore des chansons, en regardant des petites gravures des paysages de leur région, par exemple ; autrement dit, des supports médiatiques de l’époque les aidaient à se sentir mieux. La force curatrice de la nostalgie a été démontrée par des psychologues universitaires en Angleterre dans les années 2000.

Assiste-t-on à une vague nostalgique, en parallèle de la vague épidémique ? Il y a toujours eu des « épidémies » nostalgiques dans l’histoire. La petite vague nostalgique émanant avec le Covid-19 se joint à une plus grande, qui a bien commencé depuis une dizaine d’années et qui s’étend dans tous les domaines, qu’ils soient culturels, politiques ou économiques. Les productions médiatiques des dernières années, comme les séries Stranger Things ou Mad Men, en sont juste une petite partie.

La nostalgie est souvent associée à quelque chose de rance, de passéiste. Qu’en pensez-vous ? Ce retour « aux sources » est compréhensible et il n’a rien de grave. Sous une forme modérée, il peut faire rire et apporter un moment de déconnexion, que ce soit avec Louis de Funès ou toute autre forme réconfortante de nostalgie. Cela étant dit, la nostalgie comme drogue du temps présent ne doit pas durer éternellement. Selon moi, l’essentiel est que l’on devrait retenir la force créative et réflective de la nostalgie, son lien à l’utopie, et ne pas tomber dans la nostalgie régressive qui idéalise un passé qui n’a jamais été fantastique ou idéal, comme dans le slogan « Make America great again ».

Le défi qui consiste à poster ses vieilles photos d’enfance sur Facebook s’inscrit-il dans cette vague nostalgique suscitée par le Covid-19 ? Oui. La publication des photos de notre enfance est une façon de plonger dans les archives personnelles analogiques ou numériques et d’explorer son propre passé en temps de crise, de restituer un fil du temps et surtout de le partager avec un grand nombre de personnes. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue que cela conduit à donner encore plus d’informations sur nous-mêmes à la plate-forme Facebook.

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